GENÈVE : Les électeurs du canton de Bâle ville, connu pour son zoo et ses groupes pharmaceutiques, ont dû peser une profonde question philosophique pour le scrutin du 13 février: les primates non-humains peuvent-il bénéficier de droits fondamentaux?
150 primates
Lancée par l'association Sentience basée dans la métropole rhénane, l'initiative populaire demande que les primates non-humains bénéficient des droits à la vie et à l'intégrité physique et mentale, afin de pouvoir "se défendre contre les interventions dans leur vie".
Selon cette association, les primates, qui sont environ 150 à Bâle-Ville, "se caractérisent par leur gros cerveau, leurs structures sociales complexes et leur grande capacité élevée à souffrir physiquement et psychologiquement".
Le Tribunal fédéral suisse a jugé en 2020 que l'initiative est valable, au motif qu'elle ne demande pas que les droits fondamentaux applicables aux êtres humains le soient aux animaux, "mais requiert l'introduction de droits spécifiques pour les primates non humains".
Il a en revanche estimé que le texte ne s'appliquerait qu'"aux organes cantonaux et communaux", et non pas directement aux personnes privées.
L'impact sur les institutions de recherche privées et le zoo de Bâle, qui est organisé sous forme de société anonyme et qui dépend des dons, est encore flou.
Et selon le tribunal, le canton et ses unités - telles que l'université ou les hôpitaux – ainsi que ses communes ne détiennent pas de primates.
Un bien ou une personne
Ce vote est "plutôt une déclaration d'intention visant à garantir que les primates vivent dans de meilleures conditions", juge Pedro Pozas, directeur en Espagne du "Projet grands singes", un mouvement international qui réclame pour eux un ensemble de droits, dans un entretien à l'AFP.
Mais la portée du texte peut être très "large", estime toutefois Steven Wise, avocat américain spécialisé dans le droit animal.
"Cela donnerait des droits aux primates, qui devront ensuite être défendus devant des tribunaux pour savoir précisément quels sont ces droits", explique-t-il à l'AFP.
Cecilia
M. Wise se bat depuis des décennies devant des tribunaux américains pour que des chimpanzés soient reconnus comme des personnes. En vain jusqu'à présent.
En Argentine, un tribunal a en revanche accordé en 2017 à une femelle chimpanzé, Cecilia, le droit de ne pas être emprisonnée sans jugement en vertu de l'habeas corpus, une disposition fondamentale du droit anglo-saxon. Il s'agissait du premier chimpanzé au monde à bénéficier de ce droit réservé aux humains.
"On essaie de briser la barrière du discours qui dit que tous les animaux non humains ne sont pas des personnes, mais des biens", souligne M. Wise, comparant ce combat à celui du mouvement afro-américain des droits civiques ou encore au mouvement de libération des femmes.
Ce combat devrait aussi passer par l'ONU, explique M. Pozas, dont l'organisation réclame une "déclaration" onusienne pour les grands singes.
Euthanasie
Bien que l'initiative ne concerne que les grands singes détenus par des organismes publics, le directeur du zoo de Bâle, Olivier Pagan, craint un effet indirect sur les primates en général: "Si l'initiative était adoptée, l'analyse de leur bien-être et de leur sécurité ne relèverait non plus de biologistes, vétérinaires et soignants expérimentés, mais d'un médiateur (...) voire de juristes non qualifiés".
Pour le zoo, cela posera problème dès lors qu'un animal souffrira mais qu'il ne sera pas possible de mettre fin à ses souffrances sous couvert du droit à la vie.
Fabia Wyss, vétérinaire du zoo, précise: "Si l'initiative est adoptée et si je décide d'endormir malgré tout l'animal, je me mets hors-la-loi. Mais en laissant souffrir un animal inutilement, je me rends également coupable au sens de la loi sur la protection des animaux."