BICHKEK : Des manifestants anti-gouvernementaux ont envahi tôt mardi le bâtiment abritant le Parlement et l'administration présidentielle à Bichkek, capitale du Kirghizstan, contestant les résultats des élections législatives de dimanche, ont rapporté plusieurs médias.
Les manifestants ont dans la foulée libéré de prison l'ancien président Almazbek Atambaïev « sans faire usage de la force ni des armes », a affirmé l'un de ses partisans, Adil Turdukuov, qui a dit avoir assisté à la scène. La cellule de l'ancien dirigeant se trouvait dans le bâtiment du Comité pour la sécurité nationale et les gardiens n'ont opposé aucune résistance selon lui.
Des photos publiées par le service kirghiz de Radio Free Europe ont montré des manifestants déambulant dans le principal centre du pouvoir au Kirghizstan. Plusieurs autres médias locaux ont également rapporté la prise du bâtiment par les protestataires.
Un témoin ayant participé au mouvement mais ayant requis l'anonymat a indiqué que des protestataires issus d'une foule de quelque 2.000 personnes s'étaient forcé un passage dans le bâtiment. « Personne n'essayait de le protéger lorsque la foule est entrée », a-t-il indiqué.
« Nous nous sommes arrêtés, nous avons chanté l'hymne national et nous sommes entrés dans le bâtiment sans (rencontrer) de résistance », a-t-il ajouté, précisant que seuls quelques « agents techniques » se trouvaient alors à l'intérieur et se sont rapidement retirés.
Au moins 120 personnes ont été hospitalisées lundi, après des heurts entre la police et des manifestants qui contestaient les résultats des élections législatives de la veille dominées par deux partis proches du pouvoir.
La police a fait usage de grenades assourdissantes, puis de gaz lacrymogènes pour disperser les centaines de manifestants réunis dans le centre de la ville, certains tentant d'escalader les grilles du siège de la présidence.
« Plus de 120 personnes ont été hospitalisées, plusieurs dans un état grave », a annoncé dans un communiqué le ministère kirghiz de la Santé, précisant qu'environ la moitié étaient des « représentants des forces de l'ordre ».
Les manifestants réclament la démission du président Sooronbay Jeenbekov et la tenue de nouvelles élections législatives. Des accusations de fraudes, notamment d'achats de voix, ont terni celles organisées dimanche.
Pour tenter d'apaiser les tensions, le bureau de Sooronbay Jeenbekov a annoncé lundi soir que le président de 61 ans, élu en 2017, rencontrerait mardi les dirigeants de 16 partis ayant participé aux élections.
En soirée, le parti pro-présidentiel Birimdik, arrivé en tête avec 25% des voix, a annoncé qu'il acceptait l'idée d'une nouvelle élection, appelant tous les autres partis ayant dépassé les 7% à faire de même.
Les heurts se poursuivaient toutefois dans la nuit dans les rues environnant la place Ala-Too de Bichkek où s'étaient d'abord réunis les manifestants.
Des images diffusées par les médias locaux montraient des manifestants lançant des pierres au milieu de nuages de gaz lacrymogènes et des flashs de grenades. Un dirigeant d'opposition, Janar Akaïev, a été blessé par une balle en caoutchouc reçue à la jambe, a annoncé son parti Ata-Meken.
Sur Twitter, un docteur kirghiz de renom, Egor Borissov, a assuré que des hommes non identifiés avaient « attaqué deux équipes d'ambulances », endommageant leurs véhicules à coup de pierres, à proximité de la manifestation.
Peur de pillages
Selon de nombreux témoins, les boutiques du centre-ville ont commencé à retirer les produits des étals, par peur de possibles pillages.
Dans l'après-midi, au moins 5.000 personnes s'étaient réunies sur la place Ala-Too, à proximité de la présidence, scandant des slogans anti-pouvoir. « Jeenbekov dehors ! Matraïmov dehors ! », lançait la foule, s'adressant au président Sooronbay Jeenbekov et un ancien haut-responsable accusé de corruption.
La place Ala-Too avait été le point de départ de deux révolutions en 2005 et 2010 qui avaient renversé successivement deux présidents autoritaires dans ce pays réputé pour connaître un certain pluralisme politique, en comparaison à ses voisins d'Asie centrale aux régimes plus autoritaires.
« Le président avait promis d'organiser des élections honnêtes mais il n'a pas tenu parole », a lancé Ryskeldi Mombekov, candidat du parti Ata Meken, devant les manifestants réunies sur la place.
Un chanteur populaire du pays, Mirbek Atabekov, a accusé « les politiciens de mettre l'argent au dessus de tout », appelant la foule à ne pas répondre aux provocations.
La manifestation avait été organisée à l'appel de cinq partis politiques qui ont échoué à atteindre le seuil de 7% nécessaire pour entrer au Parlement.
Le chef de la mission de l'OSCE venue observer les élections, Thomas Boserup, a noté que les élections s'étaient « bien déroulées dans l'ensemble », malgré des préoccupations liées à des « allégations crédibles d'achat de voix ».
Birimdik et le parti Mekenim Kirghizstan, tous deux pro-Jeenbekov et favorables à une intégration renforcée de Bichkek au sein de l'Union économique eurasiatique promue par Moscou, sont au coude à coude avec environ un quart des voix.
Le parti pro-présidentiel Kirghizstan devrait également se maintenir au Parlement avec près de 9% des voix. Deux autres formations, l'une nationaliste et l'autre fondée par un ex-Premier ministre, devraient elle aussi dépasser les 7%.
Entouré de régimes autoritaires, le Kirghizstan, pays pauvre et montagneux, fait figure d'exception démocratique en Asie centrale, même si les transitions politiques ont toujours été houleuses.