KHARTOUM. Les forces de sécurité soudanaises ont tiré lundi à Khartoum des grenades lacrymogènes pour disperser des milliers de manifestants réclamant justice pour les dizaines de morts de la répression du pouvoir militaire lancée depuis le coup d'Etat d'octobre.
Ces tirs ont visé les manifestants anti-putsch réunis aux abords du palais présidentiel, où siège le dirigeant de facto du pays, le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhane.
Les manifestants ont crié aux militaires de "retourner à leurs casernes" et appelé à la dissolution des Forces de soutien rapide, ont constaté des journalistes de l'AFP. Ce groupe paramilitaire commandé par le numéro 2 du régime, Mohammed Hamdan Daglo, dit Hémedti, est accusé par les organisations des droits humains d'avoir commis des atrocités.
Avec son coup de force du 25 octobre, le général Burhane a mis un coup d'arrêt à la transition vers un pouvoir entièrement civil promis il y a plus de deux ans après la chute du dictateur Omar el-Béchir, démis par l'armée sous la pression de la rue.
Justice
Les forces de sécurité ont aussi fait usage de grenades lacrymogènes pour tenter de disperser des manifestants rassemblés à Omdourman, banlieue du nord-ouest de Khartoum.
Comme dans l'autre banlieue, Khartoum-Nord, les manifestants ont demandé justice pour les 79 morts de la répression, selon un syndicat de médecins pro-démocratie.
Les autorités soudanaises ont nié à plusieurs reprises avoir utilisé des balles réelles contre des manifestants, signalant que des dizaines d'agents de sécurité ont été blessés et qu'un général de police a été tué.
Des manifestations ont également eu lieu à Madani, à 200 kilomètres au sud de la capitale, où plus de 3.000 personnes ont défilé, ainsi qu'à Gedaref et à Port-Soudan, dans l'est côtier du pays.
Les manifestants ont défilé sous les drapeaux soudanais en scandant "non, non au pouvoir militaire!" et "le sang pour le sang", d'après des témoins.
Ailleurs, des manifestants ont aussi défilé par centaines à El-Geneina, capitale du Darfour-Ouest, et à Kassala à l'est de Khartoum scandant que "le pouvoir appartient au peuple!".
Toujours privé d'aide internationale en rétorsion au putsch, le Soudan, l'un des pays les plus pauvres au monde, est de plus en plus divisé entre pro-armée et anti-putsch.
En 2019, après trente ans de dictature militaro-islamiste du général Omar el-Béchir, les civils avaient choisi de partager le pouvoir avec l'armée, quasiment toujours aux commandes au Soudan depuis son indépendance il y a 66 ans. Mais depuis le putsch, les pro-démocratie refusent toute collaboration avec les militaires.
Samedi, des partisans du pouvoir militaire ont manifesté et conspué "les ingérences de l'étranger", réitérant leur "soutien" à l'armée. Plusieurs journalistes ont été agressés par des manifestants selon l'AFP.
L'ONU, qui tente de faire baisser les tensions, oeuvre auprès des différentes parties en vue d'un éventuel dialogue pour remettre la transition vers la démocratie sur les rails et faire revenir l'aide financière des bailleurs internationaux.
Mais si les deux camps veulent l'exact opposé, ils s'accordent sur un point: le rejet du dialogue prôné par l'ONU.
Les pro-armée veulent entériner le statu quo post-putsch alors que les pro-démocratie s'opposent à tout partenariat avec les généraux.
Les États-Unis, qui ont suspendu 700 millions de dollars d'aide au Soudan après le putsch, ont récemment averti qu'une poursuite de la répression par les autorités aurait des "conséquences".
Et la secrétaire d'Etat adjointe américaine, Molly Phee, a menacé de "faire payer aux dirigeants militaires un coût plus lourd encore si la violence continue".