BISSAU: Le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, a réchappé mardi à une tentative de coup d'Etat qui a fait de nombreux morts selon lui, dernier en date d'une série de coups de force à travers l'Afrique de l'Ouest.
M. Embalo, un ancien général arrivé en 2020 à la tête de ce petit pays à l'histoire politique jalonnée de tels évènements, s'est présenté mardi soir devant la presse indemne et serein, après être resté coincé avec les ministres dans le palais du gouvernement, théâtre pendant plusieurs heures l'après-midi d'échanges de tirs nourris.
Le chef de l'Etat et les membres du gouvernement ont été surpris à l'intérieur du palais, le siège des ministères où se déroulait un conseil des ministres extraordinaire, par des hommes en armes aux motivations encore mal connues, selon les témoignages. Il s'agissait de "tuer le président de la République et tout le cabinet", a-t-il dit.
M. Embalo n'a pas précisément désigné les auteurs de cette tentative de coup d'Etat. Celle-ci "doit venir de ceux qui sont contre les décisions que j'ai prises, notamment dans la lutte contre le trafic de drogue et la corruption", a-t-il dit, parlant d'"acte très bien préparé et organisé", mais aussi d'acte "isolé".
Il s'est retrouvé "sous des tirs nourris d'armes lourdes pendant cinq heures", aux côtés de son aide de camp, de deux gardes du corps et d'une ministre, tandis que les combats faisaient rage, a-t-il raconté.
Il y a eu "beaucoup de morts", a-t-il déclaré.
Après plusieurs heures de confusion et de rumeurs, le président a été tiré d'affaire. "Tout va bien", a-t-il dit dans un bref échange téléphonique avec l'AFP, à un moment où il se trouvait semble-t-il toujours au palais du gouvernement. Puis ses services ont annoncé son retour au palais présidentiel et lui-même a tweeté : "Je vais bien Alhamdoulillah (Dieu merci). La situation est sous contrôle gouvernemental".
M. Embalo a fait état de premières arrestations.
Guinée-Bissau: coups d'Etat, pauvreté et noix de cajou
La Guinée-Bissau, petit pays lusophone d'Afrique de l'Ouest, fait partie des Etats les plus pauvres et instables du monde.
Coups d'Etat et valse des gouvernements
Cette ancienne colonie portugaise est devenue indépendante en 1974 après une longue guerre de libération, menée par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC) d'Amilcar Cabral, assassiné en 1973.
Depuis, le pays a connu quatre putschs (le dernier en 2012), 16 tentatives de coup d'Etat et une valse des gouvernements.
José Mario Vaz, élu président en 2014, a été le seul chef de l'Etat depuis l'instauration du pluripartisme à terminer son mandat sans être destitué ou assassiné.
En 2019, la dernière présidentielle a été marquée par une crise électorale, aboutissant aux investitures de deux chefs d'Etat rivaux: l'ex-Premier ministre Domingos Simoes Pereira, candidat PAIGC, contestait la victoire attribuée par la commission électorale (CNE) à un autre ex-Premier ministre, l'opposant Umaro Sissoco Embalo.
En avril 2020, après quatre mois de blocage la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a reconnu M. Embalo comme président.
En octobre 2021, le gouvernement a démenti l'existence de préparatifs en vue d'un nouveau putsch.
Un des pays les plus pauvres
Ce petit pays (36 100 km2) constitué d'une partie continentale et de l'archipel Bijagos (88 îles dans l'océan Atlantique) est frontalier du Sénégal et de la Guinée.
Sa population s'élevait à 1,97 million d'habitants en 2020 (Banque mondiale), avec une grande variété de groupes ethniques, de langues et de religions.
En 2020, le PIB réel de la Guinée-Bissau s'est contracté de 2,8%. Les mesures de quarantaine et la fermeture des frontières décidées face à la pandémie de Covid-19 « ont provoqué la baisse des prix et des ventes de noix de cajou », la principale production du pays, souligne la Banque africaine de développement (BAD), qui anticipe une croissance de 2,9% en 2021 puis 3,9% en 2022.
La Guinée-Bissau est classée 175e sur 189 pays dans l'indice de développement humain du Pnud (classement 2020), qui mesure la qualité de la vie.
L'espérance de vie moyenne se limite à 58 ans.
Près de 70% de la population vivait sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale en 2010 (chiffres les plus récents disponibles).
Narcotrafic et corruption
L'instabilité et la pauvreté ont favorisé l'implantation de narcotrafiquants, qui utilisent ce territoire comme zone de transit de la cocaïne entre l'Amérique latine et l'Europe.
Des responsables militaires de ce pays ouest-africain ont souvent été cités dans ce trafic ces dernières années.
L'ONU avait salué les progrès réalisés dans la lutte contre le narcotrafic depuis l'élection de M. Vaz, mais regretté que la volonté des autorités en la matière se soit « peu affermie ».
En août 2021, le président Embalo a exclu d'extrader le général et ancien putschiste Antonio Indjai, recherché par les Etats-unis pour son implication présumée dans un trafic de drogues en lien avec les Farc colombiennes.
La Guinée-Bissau pâtit d'une corruption endémique, pour laquelle elle était classée 162e sur 180 pays en 2021 par l'ONG Transparency International.
Putschs et corruption
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a condamné "cette tentative de coup d'Etat". Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a exprimé sa "grande inquiétude". Les deux organisations ont paru désigner les militaires comme en ayant été les responsables car chargés de la sécurité du président et du gouvernement.
La part prise par l'armée, qui joue un rôle prééminent dans ce pays à l'histoire troublée, donnait lieu à toutes les conjectures.
La Guinée-Bissau, une petite nation d'environ deux millions d'habitants frontalière du Sénégal et de la Guinée, est abonnée aux coups de force. Depuis son indépendance du Portugal en 1974, elle a connu quatre putschs (le dernier en 2012), une kyrielle de tentatives de coup d'Etat et une valse des gouvernements.
Depuis 2014, elle s'est engagée vers un retour à l'ordre constitutionnel, ce qui ne l'a pas préservée des turbulences, mais sans violences.
Le pays pâtit d'une corruption endémique. Il passe aussi pour être une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l'Amérique latine et l'Europe.
Depuis début 2020, Umaro Sissoco Embalo, un ancien général, est le chef de l'Etat, à la suite d'une présidentielle au résultat toujours contesté par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), une formation dominante depuis l'indépendance.
M. Embalo, 49 ans, avait forcé son destin en février 2020 en mettant l'écharpe de président et en s'installant au palais présidentiel, malgré la persistance de la contestation.
Depuis des mois, il est à couteaux tirés avec le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam et la menace d'un limogeage de ce dernier et d'une dissolution du parlement pèse sur la vie politique.
Les évènements de mardi évoquent immanquablement les putschs en série qui agitent l'Afrique de l'Ouest depuis 2020 : au Mali en août de cette année-là et à nouveau en mai 2021, en Guinée en septembre 2021 et au Burkina Faso en janvier de cette année.
M. Embalo est à nouveau appelé à prendre part cette semaine à un sommet des dirigeants ouest-africains où doit être évoquée la situation dans ces différents pays.
Avant le dénouement, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres disait ne pas connaître les détails de l'affaire. Mais, ajoutait-il, "nous assistons à une multiplication terrible des coups d'Etat".