PARIS: Le gouvernement français a annoncé cette semaine la dissolution d’un média dirigé par des militants et d’un site Web islamiste, jugés contraires aux «valeurs nationales».
C’est la dernière d’une série de mesures qui, selon les groupes de défense des droits et les avocats, portent atteinte aux libertés démocratiques.
À la suite d’une violente manifestation contre l’extrême droite à Nantes, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fait part de son intention de dissoudre une plate-forme médiatique locale baptisée «Nantes Révoltée», qui avait relayé des informations sur la manifestation.
Quelques jours plus tôt, il avait exprimé sa volonté de fermer le site baptisé «La Voie droite», qui publie du contenu religieux islamiste.
Le gouvernement utilise de plus en plus ses pouvoirs pour dissoudre des organisations ou des groupes. Au cours des deux dernières années, on compte douze fermetures de ce genre, contre sept entre 2016 et 2019, selon les archives publiques françaises.
Avant de dissoudre une association, le ministère de l’Intérieur informe la partie concernée qui dispose d’un délai de quinze jours pour exposer ses contre-arguments. Ensuite, une fois le décret publié, l’organisation peut porter l’affaire devant le Conseil d’État, un tribunal administratif.
À ce jour, la plate-forme Nantes révoltée affirme n’avoir reçu aucune communication de la part du ministère de l’Intérieur concernant sa dissolution.
Parmi les organisations fermées par décret depuis janvier 2020, sept sont en lien avec l’islam, dont des associations de gestion de mosquées, une organisation humanitaire et des groupes de lutte contre l’islamophobie, indiquent les registres. Trois groupes d’extrême droite ont été fermés.
Annonçant mardi le projet de fermeture de Nantes révoltée aux députés, M. Darmanin décrit la plate-forme comme un groupe d’extrême gauche qui a appelé, à plusieurs reprises, à la violence contre l’État et la police à l'approche de la manifestation du week-end, au cours de laquelle trois personnes ont été arrêtées, des vitrines ont été brisées et des bagarres ont éclaté.
Raphaël Kempf, avocat de Nantes révoltée, affirme qu’un site Web partageant des informations sur un événement ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui s’y passe.
«Le gouvernement se sert de cet outil juridique pour attaquer les voix qui le critiquent», déclare Me Kempf, ajoutant que le gouvernement dispose désormais de pouvoirs accrus, en vertu de la loi de 2021 qui fait de l’incitation à la violence un motif de dissolution. Auparavant, les groupes devaient être armés ou violents pour tomber sous le coup de cette accusation.
Voix dissidentes
La loi de 2021 a été introduite en réponse aux attaques violentes que la France a connues ces dernières années, notamment la décapitation de l’instituteur Samuel Paty en 2020 et les attentats de 2015 à Paris qui ont coûté la vie à cent trente personnes.
Cependant, certains avocats et groupes militants affirment que les autorités vont beaucoup trop loin pour museler les voix dissidentes et cibler toute personne pratiquant une forme d’islam non approuvée par l'État.
Au cours d’une interview télévisée dimanche, Gérald Darmanin a annoncé que le site islamiste La Voie droite serait fermé en vertu de la loi de 2021 pour «contenus incitant à la haine et appelant au djihad».
Le site en question nie avoir publié de tels contenus, affirmant dans un communiqué qu’en «encourageant les musulmans à respecter les textes, on s’oppose à tout type de menace ou de légitimation de la violence».
Le ministère français de l’Intérieur n’a pas immédiatement répondu à la demande de commentaires de Reuters.
Dans une autre mesure qui a alarmé certains groupes de défense des droits, le gouvernement français a intensifié la censure des contenus Internet en lien avec le terrorisme ou justifiant la violence en vertu d’une loi de 2014. Les responsables affirment que c’est nécessaire pour endiguer les attaques violentes.
Noémie Levain, avocate de l’organisation de défense des droits numériques baptisée «La Quadrature du Net», soutient que ces pouvoirs peuvent donner lieu à des abus.
«Le processus de décision est opaque», souligne-t-elle. «La police peut désigner un élément musulman comme problématique même si ce n’est pas violent. Elle peut en faire de même avec un appel à manifester lancé par des militants», conclut-elle.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com