PARIS: En 2018, l'affolement des prix des carburants avait lancé le mouvement des "gilets jaunes" qui avait embrasé la France. Trois ans plus tard, l'énergie, encore au plus haut, menace directement le pouvoir d'achat, un sujet crucial pour les Français à moins de trois mois de la présidentielle.
Plusieurs manifestations sont d'ailleurs prévues jeudi sur le thème des "salaires et l'emploi", à l'appel des syndicats.
Selon un récent sondage Ipsos Sopra-Steria réalisé pour le média France Inter, 42% des personnes interrogées estiment que la crise sociale (la stagnation du pouvoir d'achat, la hausse des inégalités, le manque de mobilité sociale) est "la plus cruciale" pour l'avenir du pays et semble donc être l'enjeu principal de la campagne.
Fallait-il aider financièrement les Français, à dix semaines du scrutin d'avril, quitte à se voir taxé de clientélisme, ou laisser faire le marché et être accusé d'inaction, alors que, poussés par une flambée du prix du pétrole, les carburants atteignent des records?
Le gouvernement, après une longue hésitation, a finalement tranché mardi: quelque 2,5 millions de foyers déduisant leurs indemnités kilométriques de leurs impôts verront ceux-ci diminuer d'environ 150 euros, selon une estimation du ministère de l'Economie.
"Il y a très peu de mesures qui ont un impact substantiel sur quelque chose qui ne dépend pas de nous et qui sont les cours mondiaux", a commenté le président français Emmanuel Macron, qui ne s'est pas encore déclaré candidat mais dont les sondages prédisent la réélection.
Depuis l'automne dernier, le gouvernement dit avoir budgétisé 15 milliards d'euros d'aide pour compenser l'inflation sur les prix du carburant.
Une politique du "carnet de chèques" que dénonce le patron des députés de l'opposition de droite, Damien Abad : "Chaque matin, on fait des chèques alors qu'on n'a plus les moyens de rien. Nous sommes le pays le plus endetté d’Europe après l'Italie."
Inaction
La candidate d'extrême droite Marine Le Pen pointe à l'inverse "l'inaction du gouvernement", qui plonge des "millions de Français (...) dans la difficulté". La semaine dernière, le gazole atteignait en moyenne 1,65 euro le litre, contre 1,72 euro pour le super SP95.
Reste à savoir si une telle mesure suffira pour empêcher une nouvelle mobilisation de type "gilets jaunes", le pouvoir d'achat étant la préoccupation numéro un des Français.
Partis des zones rurales et des petites villes françaises, les gilets jaunes, un mouvement de révolte populaire et de contestation des élites, avaient accouché de multiples épisodes violents entre fin 2018 et début 2020. Sa principale cible avait été Emmanuel Macron, désigné "président des riches".
"Il y a eu des moments compliqués" durant le quinquennat sur ce sujet, relève le directeur des études politiques de l'institut Kantar, Emmanuel Rivière.
Et l'analyste de citer l'augmentation d'un impôt pour les retraités ou encore la baisse d'une aide au logement parmi les mesures les plus impopulaires, alors que dans le même temps l'Impôt sur la fortune (ISF), très symbolique car payé uniquement par les plus privilégiés, a été supprimé.
Ces mesures "ont pu donner le sentiment que l'on prenait dans la poche de certains Français", ajoute M. Rivière, qui ne se "rappelle pas avoir très souvent vu (l') exécutif crédité sur le pouvoir d'achat", à l'exception du "quoi qu'il en coûte", une mesure de compensation des pertes financières liées à l'épidémie de Covid-19.
Pouvoir d'achat en hausse
Le pouvoir d'achat a pourtant davantage progressé depuis 2017 que durant les deux précédents quinquennats, grâce à la croissance et aux mesures sociales et fiscales.
D'après une étude de la direction générale du Trésor, qui dépend du ministère de l'Economie, le revenu brut disponible des ménages aura progressé de 8% entre 2017 et 2022 et leur pouvoir d'achat (qui tient compte notamment de la composition des ménages) "entre 4 et 6%".
Mais tous n'en ont pas profité de manière égale. Entre la suppression progressive d'une taxe sur les logements, l'augmentation d'une prime d'activité ou la baisse des cotisations sociales, "les actifs du secteur privé de la classe moyenne" ont été particulièrement gagnants, explique Matthieu Plane, économiste à l'Observatoire des conjonctures économiques. Tout comme les plus riches.
A l'inverse, les 5% de ménages les plus modestes ont vu leur niveau de vie régresser, selon l'Institut des politiques publiques, du fait notamment de l'augmentation de taxes sur le tabac et l'énergie, qui les pénalisent davantage en proportion de leurs revenus.
Et le candidat de la gauche radicale à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon de s'alarmer: "Il faut que vous preniez la mesure de l'instant: 8 millions de personnes relèvent de l'aide alimentaire - on n'a jamais vu ça en France - et 12 millions vivent au froid en plein hiver".