ALGER: Le ministre américain de la Défense Mark Esper est en visite jeudi à Alger, une première depuis 2006, afin de relancer l'alliance entre deux pays aux intérêts stratégiques communs face aux jihadistes au Sahel et au conflit en Libye.
M. Esper, qui effectue une étape algérienne entre Tunis et Rabat, devait rencontrer le président algérien Abdelmadjid Tebboune, aussi chef des armées et ministre de la Défense, en présence du chef d'état-major le général Saïd Chanegriha et de hauts gradés.
Après son arrivée, il a déposé une gerbe au majestueux mémorial des Martyrs tombés pour l'indépendance de l'Algérie, sur les hauteurs de la capitale.
«Les Etats-Unis et l'Algérie ont été amis et partenaires durant des années et des années, et j'espère que ma visite aujourd'hui (...) contribuera à renforcer cette coopération et à poursuivre ces intérêts communs et cette histoire commune», a assuré M. Esper.
Le partenariat entre Alger et Washington est ancien. Il date de 1795, bien avant le début de la colonisation française (1830).
Pendant la Guerre d'Algérie (1954-1962), dans un contexte mondial de décolonisation, les Etats-Unis ont poussé au dialogue avec le Front de libération national (FLN) en vue de l'indépendance.
Plus récemment, «les Etats-Unis ont de fortes relations sécuritaires bilatérales avec l'Algérie qui remontent au moins au début de la guerre contre le terrorisme» lancée après les attentats du 11 septembre 2001, relève Michael Shurkin, analyste de la Rand Corporation, institut de stratégie militaire américain.
«Pré carré français»
Si les responsables militaires américains se rendent fréquemment en Tunisie et au Maroc, où la coopération en matière de défense avec les Etats-Unis est bien rodée, M. Esper est le premier secrétaire à la Défense à se rendre en Algérie - alliée de la Russie et de la Chine, dont l'influence est grandissante au Maghreb - depuis Donald Rumsfeld en février 2006.
«Certains pays ne disent pas nécessairement qu'ils veulent être votre ami mais ils commencent à faire des choses qui ressemblent à ce que vous voudriez qu'ils fassent», relève-t-on dans l'entourage de M. Esper à propos de l'Algérie.
Pour le Pentagone, l'Algérie est désormais «un partenaire très important dans la région», en matière de sécurité et de stabilité régionales ainsi que face à la menace des factions armées jihadistes.
Alger, qui craint les risques d'instabilité à ses frontières, s'efforce de réactiver son rôle sur la scène diplomatique régionale et tente d'endosser un rôle de médiateur dans les crises au Mali et en Libye, où la situation est chaotique.
«Les Américains veulent se repositionner dans la région qui a vu arriver de nouveaux acteurs comme la Turquie. Ils veulent connaître le point de vue algérien sur la situation sécuritaire», explique le politologue algérien Mansour Kedidir.
Côté algérien, «il y a une proximité de points de vue sur beaucoup de questions comme la Libye et le Sahel», abonde Akram Kharief, directeur du site spécialisé menadefense.net.
En outre, «le rôle des Etats-Unis doit être vu dans le contexte de la réticence de l'Algérie à travailler avec la France», l'ancienne puissance coloniale, observe l'analyste de Rand.
«C'est un autre exemple qui prouve que le temps où la France était jalouse de l'implication des Etats-Unis dans son pré carré est révolu et que la France se félicite de l'engagement américain», opine ce spécialiste du Sahel.
Quelque 5.000 militaires français sont déployés au Sahel dans le cadre de l'opération «Barkhane» depuis août 2014.
Vente d'armes
Au delà des enjeux géopolitiques régionaux, les Etats-Unis souhaiteraient aussi vendre davantage d'armement à l'Algérie, dont 90% du matériel provient de Russie.
«C'est un travail de longue haleine qui ne peut pas se régler en une visite», tempère toutefois le politologue Mansour Kedidir.
Le Pentagone manifeste également de l'intérêt pour une disposition du projet de révision de la Constitution de l'Algérie, pays officiellement neutre, qui ouvre la voie à un déploiement de son armée - la deuxième plus puissante d'Afrique - à l'étranger, «dans le cadre des Nations unies, de l'Union africaine et de la Ligue arabe», selon un responsable américain de Défense.
«Les Américains se réjouissent du changement de politique de défense de l'Algérie même s'ils savent qu'elle restera toujours derrière la couverture des Nations Unies. La neutralité de l'Algérie fait aussi sa force», souligne M. Kedidir.