PARIS: "Avant, j'avais un job à côté de mes études, maintenant je compte les centimes". Si des aides ont été mises en place pour lutter contre la précarité étudiante, ils sont toujours plus nombreux, à Paris, à solliciter les associations pour se nourrir.
Il y a près d'un an, une vidéo virale circulait sur les réseaux sociaux, montrant une file interminable d'étudiants participant à une distribution alimentaire réalisée par l'association Linkee.
Ce lundi, dans le XIIIe arrondissement de Paris, ils sont toujours aussi nombreux. Quelque 350 étudiants se pressent pour emplir leurs paniers de fruits et légumes bios, de féculents, viande, pains, ou autres articles d'hygiène.
Madeleine Angst et Léa Manzano, 18 ans, sont habituées de la distribution et ont même prévu des jeux pour patienter dans la file d'attente: "on a besoin d'un coup de pouce, avoir de la nourriture gratuite nous aide", observe la première, étudiante en arts.
"Avec mes études, je ne peux pas avoir de job à côté. Et même si mes parents m'aident financièrement, je suis contente d'avoir cette charge de dépenses en moins", explique Léa.
19h30, la distribution commence. Avec "Don't stop me now" de Queen en fond sonore, les premiers bénéficiaires, qui ont attendu plus d'une heure dans le froid, pourront collecter leur nourriture.
Signal d'alarme
Parmi eux, Emma*, 25 ans, vient pour la première fois. "Avant, j'avais un job dans un aéroport de Paris. Avec la pandémie, je l'ai perdu", déplore-t-elle.
L'étudiante en master de chinois "compte les centimes dès le milieu du mois" et participe aux distributions pour "conserver de bonnes habitudes de consommation".
Un million de repas ont été distribués aux étudiants par Linkee depuis ses débuts, en octobre 2020. Mais "rien n'a changé" pour les étudiants, déplore auprès de l'AFP Julien Meimon, son président.
"On a tiré le signal d'alarme, mais on accueille toujours plus d'étudiants", regrette-t-il, alors que les distributions étaient, à l'origine, "censées durer seulement quelques mois".
Linkee a aidé "entre 15.000 et 20.000" bénéficiaires en quinze mois en Ile-de-France, qui compte plus de 730.000 étudiants en 2020 selon le ministère de l'Intérieur.
A l'origine, l'association comptait "5.000 à 6.000 étudiants" dans le besoin, ce qui montre "une différence entre les chiffres publics et la réalité", note M. Meimon.
Thomas Suzanne, bénévole coordinateur de l'association, partage ce constat: "depuis la rentrée de septembre, il y a encore plus de demandes et de bénéficiaires, c'est alarmant".
Pour lui, la prime inflation de 100 euros versée en décembre par le gouvernement ne suffit pas: "il faut aller plus en profondeur, prendre conscience de la précarité des étudiants".
Jobs étudiants
Les repas du Crous, dont le prix (3,30 euros) avait été abaissé à un euro pour tous les étudiants durant la première vague de Covid-19, était une "meilleure solution" contre la précarité.
Ce tarif préférentiel est désormais réservé aux seuls boursiers, quand certains de leurs camarades non-boursiers éprouvent également des difficultés.
Paul Mayaux, président de la FAGE, premier syndicat étudiant de l'Hexagone, l'observe: "nos AGORAés (épiceries solidaires étudiantes gérées par la FAGE, ndlr) recensent de plus en plus de demandes, avec notamment un public nouveau, celui de la classe moyenne".
"Si certains étudiants non-boursiers ont retrouvé un job étudiant, ça ne fait qu'un équilibre avec la perte du repas à un euro", affirme à l'AFP M. Mayaux, qui ajoute que concilier travail et études est compliqué: "ce n'est pas un mode de vie très sain, au-delà de douze heures de travail par semaine, il y a un risque de déclin en terme d'études".
Un constat partagé par Benjamin Flohic, fondateur de l'association Co'p1, il y a un an. "Un étudiant sur deux travaillant à côté de ses études redouble son année", affirme-t-il.
Chez Co'p1 aussi, le nombre de demandeurs augmente: "actuellement, nous distribuons 1.000 paniers-repas par semaine, avec plus de 3.000 demandes hebdomadaires", déclare Benjamin Flohic. "Nous avions espoir d'aider moins de personnes, que la précarité recule, c'est l'effet inverse qui se produit".