NEW YORK: Bien que le monde soit naturellement préoccupé par la pandémie du coronavirus, le réchauffement climatique et les conflits régionaux, il serait erroné de croire que la menace d’une guerre nucléaire s’est estompée. En effet, le risque d’anéantissement nucléaire demeure dangereusement élevé.
Au début de l’année, la pandémie a engendré une nouvelle victime, la 10e conférence d’examen des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, initialement prévue le 4 janvier.
Le report de la réunion à août est passé inaperçu, comme si la menace posée par les armes nucléaires avait perdu de son ampleur au cours des dernières décennies.
Cependant, ce report survient alors que les tensions se sont aggravées entre les pays occidentaux et la Russie au sujet de l’Ukraine et entre les États-Unis et la Chine concernant Taïwan.
Le Traité de non-prolifération (ou TNP) a été signé en 1968 puis est entré en vigueur en 1970. C’est l’unique moyen dont les 191 États parties disposent pour prévenir toute nouvelle prolifération et pour conduire le monde vers un désarmement total.
Le pacte sur lequel repose le TNP est assez simple : les États nucléaires qui adhèrent au Traité s’engagent à réduire leurs arsenaux dans le but ultime de les éliminer complètement, et les États non nucléaires respectent leurs engagements inscrits dans le Traité : ne pas se doter d’armes nucléaires.
Tous les États ne s’y sont pas conformés. L’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord n'en font pas partie. Toutefois, l’Iran, bien que signataire du TNP, procède à l’enrichissement de son uranium et se trouve engagé dans une bataille avec l’Occident au sujet de son programme nucléaire.
C’est la seconde fois que la 10e conférence d’examen est reportée à cause de la pandémie. La conférence de 2020, qui aurait coïncidé avec le 50e anniversaire du TNP, avait aussi été remise à plus tard, faisant ainsi échouer l’espoir de remettre en selle le TNP et de redonner vie au contrôle des armes et au processus de désarmement.
Les trois piliers du TNP – la non-prolifération, le désarmement et l’utilisation pacifique des technologies nucléaires – ont connu un succès variable.
Alors que les États non nucléaires ont respecté leurs engagements et se sont conformés au Traité (à quelques exceptions près), les États nucléaires se sont montrés moins fidèles. Ils ne se sont pas acquittés de leur obligation, comme le stipule l’article 6 du TNP, de débarrasser le monde des armes nucléaires. Cela a donné lieu à des tensions et a mis en péril le régime de non-prolifération.
Les États non nucléaires, à la recherche d’une alternative, ont oeuvré à l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur le 22 janvier 2021.
Toutefois, le report de la conférence est survenu au pire moment, à l’heure où les inquiétudes montent face au problème du contrôle des armements.
Les experts pensent que le risque d’une guerre nucléaire est plus élevé que jamais. Le «Bulletin des scientifiques atomiques» a avancé l’aiguille de l’horloge de l’apocalypse à minuit moins cent secondes – l’heure la plus proche de la «fin» depuis plus de 70 ans d’existence.
En BREF
*Le TNP, qui compte 191 signataires, est l’accord sur le contrôle des armes nucléaires le plus largement ratifié au monde.
* La conférence d’examen du TNP devait commencer le 4 janvier, au siège de l’ONU.
* Les conférences d’examen doivent avoir lieu chaque cinq ans pour évaluer le respect des engagements et prendre de nouvelles mesures.
* La 10e conférence d’examen qui a été reportée devait commencer en avril 2020.
En 2020, à l’occasion du 50e anniversaire du TNP, l’ancien sénateur américain Sam Nunn a prononcé un discours à travers lequel il a exposé le danger en termes clairs.
«Nous entrons dans une ère de risque nucléaire accru», a-t-il déclaré. C’est le résultat de «la stagnation des progrès en ce qui concerne la Corée du Nord, le futur incertain de l’accord iranien et du programme nucléaire, l’échec continu de mettre en vigueur le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et la frustration compréhensible des États non nucléaires face à la lenteur du désarmement.»
Aujourd’hui, à l’heure où la pandémie fait rage, les États nucléaires continuent de moderniser et d’améliorer leurs arsenaux. Selon la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, les neuf États nucléaires du monde ont dépensé $72,6 milliards pour moderniser leurs arsenaux en 2020 – soit $1,4 milliard de plus qu’en 2019. En faisant cela, plusieurs de ces États ont enfreint le TNP.
L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm estime que les États nucléaires du monde possédaient, ensemble, environ 13 080 armes nucléaires en janvier 2021, ce qui représente une baisse légère par rapport à l'estimation de 2020 (13 400).
Néanmoins, cela a été compensé par l'augmentation du nombre d'armes nucléaires déployées au sein des forces opérationnelles, passant de 3 720 en 2020 à 3 825 en 2021. Parmi celles-ci, environ 2 000 ont été «maintenues en état d'alerte opérationnelle élevé», indique l'Institut dans son rapport de 2021.
Tout cela s’est produit en l’absence d’une procédure crédible de contrôle des armements à cause des tensions croissantes entre les États-Unis et le Russie au sujet de l’Ukraine, ainsi que l’Amérique et la Chine au sujet de Taïwan, de Hong Kong et de l’espace indopacifique.
Bien qu’ils aient été déçus du report de la conférence, les États non nucléaires ont été rassurés le 3 janvier, lorsque les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni – groupe de puissances connu sous le nom du P5 – ont publié une déclaration commune selon laquelle ils «envisagent d’éviter la guerre entre les États dotés d’armes nucléaires et de réduire les risques stratégiques.»
«Nous affirmons qu’une guerre nucléaire ne peut jamais être gagnée et qu’elle ne doit donc jamais être livrée. Étant donné que l’utilisation du nucléaire peut engendrer de lourdes conséquences, nous affirmons également que les armes nucléaires – tant qu’elles existeront – devraient servir à des fins défensives, prévenir les agressions et empêcher la guerre. Nous sommes fermement convaincus que la propagation de ces armes doit cesser.»
Ils se sont même engagés à «maintenir et à renforcer davantage [leurs] mesures nationales pour prévenir l’utilisation illicite ou involontaire des armes nucléaires.»
Le plus important est sans doute qu’ils ont réaffirmé leur engagement «aux obligations du TNP, y compris l’article 6 selon lequel il faudrait poursuivre les négociations, en toute bonne foi, pour aboutir à des moyens concrets qui permettraient la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire total, sous un contrôle international rigoureux et efficace.»
Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a précisé qu’il était «encouragé» par l’engagement des États nucléaires à «adopter des mesures pour empêcher la guerre». «La seule façon d’éliminer tout risque nucléaire est d’éliminer toutes les armes nucléaires», a-t-il ajouté.
Les groupes et les experts de la non-prolifération se sont également félicités de la déclaration, mais ils veulent voir les puissances nucléaires agir concrètement.
Du point de vue des pays arabes, il manquait cependant un élément important dans la déclaration commune. La résolution de 1995 du TNP introduite par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, qui vise à rendre le Moyen-Orient exempt de toutes armes de destruction massive, n’a en effet pas été évoquée.
On espérait que la 10e conférence d’examen serait une opportunité pour reconnaître les progrès réalisés à cet égard. La première Conférence sur la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive a eu lieu au siège des Nations Unies à New York en 2019, sous la présidence de la Jordanie, puis en 2021, sous la présidence du Koweït.
Israël, le seul État du Moyen-Orient censé posséder des armes nucléaires, n'a assisté à aucune des sessions. Les États-Unis n’y ont pas assisté non plus, bien qu’ils soient l’un des principaux parrains de la résolution de 1995.
Les partisans du contrôle des armements n'ont plus qu’à attendre le mois d'août pour voir si le P5 appuiera sa déclaration par des gestes concrets et aboutira à une «issue positive» qui préservera l'intégrité du TNP.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com