BAMAKO: Le chef de la junte malienne, le colonel Assimi Goïta, a dit lundi rester ouvert au dialogue avec la Communauté des Etats ouest africains, tout en appelant ses compatriotes au calme et à la "résilience" après que l'organisation régionale a infligé des sanctions à son pays.
"Même si nous regrettons le caractère illégitime, illégal et inhumain de certaines décisions, le Mali reste ouvert au dialogue avec la Cédéao pour trouver un consensus entre les intérêts supérieurs du peuple malien et le respect des principes fondamentaux de l'organisation", a-t-il dit dans un discours diffusé à la télévision publique.
Il n'a pas annoncé de nouvelle mesure de riposte, mais n'a pas non plus fait de nouvelle proposition pour sortir de la crise politique.
"Je vous demande de rester calmes et sereins car nous avons fait le choix d'être sincères afin de prendre notre destin en main en forgeant notre propre voie. La Cédéao et l'Uémoa se sont assumées, nous en ferons autant", a-t-il dit.
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a imposé dimanche une batterie de mesures de rétorsion qui ouvrent pour le pays, en proie à une grave crise sécuritaire et politique depuis neuf ans, une nouvelle période de grande incertitude.
Elle a durement sanctionné le projet de la junte de continuer à diriger le pays pendant plusieurs années et le manquement à sa promesse de tenir le 27 février des élections ramenant les civils au pouvoir.
La junte au pouvoir en Guinée, pays frontalier avec le Mali, a annoncé que "les frontières aériennes, terrestres et maritimes de la Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères conformément à sa volonté panafricaniste".
Dans un communiqué lu lundi soir à la télévision publique, le Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD, composé de militaires) déclare que la Guinée, "en aucune façon, n'a été associée à la décision du quatrième sommet extraordinaire des chefs d'Etat de la Cédéao relative aux sanctions prises contre le Mali".
La junte avait déjà exprimé sa colère dans un communiqué lu à la télévision nationale au milieu de la nuit par le porte-parole du gouvernement en uniforme.
Elle a dénoncé des sanctions "illégales et illégitimes", accusant la Cédéao de se laisser "instrumentaliser par des puissances extra-régionales", une référence évidente à certains partenaires au premier rang desquels la France, engagée militairement au Sahel mais avec laquelle les relations se sont sérieusement dégradées depuis 2020.
Lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, la France a apporté son "plein soutien aux efforts de la Cédéao", les autorités maliennes, "une fois encore", n'ayant "pas respecté les exigences de la Cédéao et leurs propres engagements".
Les Etats-Unis se sont dits "profondément préoccupés par l'absence de progrès au Mali" et ont exhorté les autorités maliennes "à revenir à la démocratie en temps opportun".
Après les sanctions, la junte a décidé de rappeler ses ambassadeurs dans les Etats membres de la Cédéao et de fermer les frontières avec ces pays, des mesures de réciprocité largement symboliques.
La Cédéao a aussi suspendu, avec effet immédiat, toutes les transactions commerciales et financières des Etats membres avec le Mali, hors produits de grande consommation et de première nécessité.
Elle a aussi gelé les avoirs du Mali dans les banques centrales de la Cédéao et dans les banques commerciales des Etats membres et suspendu toute aide et transaction financière en faveur du Mali de la part des institutions de financement de l'organisation.
«Un club»
Les mesures ont commencé à se faire sentir. Le ministère des Transports a assuré "les vols des compagnies +non-Cédéao+ continueront à desservir les aéroports du Mali". Mais Air France a annoncé ne pas pouvoir assurer la desserte de Bamako "en raison de tensions géopolitiques régionales".
L'embargo commercial pourrait mettre plus de temps à produire ses effets. Des inquiétudes se sont exprimées sur les réseaux sociaux quant aux risques d'inflation ou de pénuries.
Dans un pays pauvre et enclavé, éprouvé par les violences de toutes sortes et la Covid-19, l'embargo imposé après le premier putsch de 2020 et levé après quelques semaines avait été durement ressenti.
Il passe pour avoir poussé les colonels à accepter de remettre les commandes à des civils élus au bout de 18 mois, engagement sur lequel ils sont revenus.
Daoulata Haïdara, bamakoise, déplore le bras de fer avec la Cédéao: "on ne sait pas où cela pourra conduire notre pays".
Les experts mettent en garde contre le danger, pour la Cédéao, de rassembler derrière la junte une population dans laquelle résonne le discours de souveraineté nationale.
"S'il faut que le Mali se libère, ce bras de fer est nécessaire pour la liberté du Mali", dit Daoulata Haïdara.
Pour Lassana Camara, bamakois lui aussi, "la Cédéao est aujourd'hui un club. Et ce club va à l'encontre de l'Afrique, de la population ouest-africaine".