KHARTOUM: Les forces de sécurité ont tiré mardi des gaz lacrymogènes sur des manifestants descendus dans la rue au Soudan pour protester contre le pouvoir militaire, deux jours après la démission du Premier ministre, ont indiqué des témoins.
Des milliers de manifestants se sont rassemblés dans la capitale soudanaise et sa banlieue Omdourman, ainsi que dans les villes de Port Soudan (est) et Nyala, la capitale du Darfour méridional, malgré le déploiement massif des forces de sécurité.
En dépit d'une répression meurtrière, le fer de lance de la révolte contre le dictateur Omar el-Béchir déchu en 2019 et contre les militaires depuis le putsch du 25 octobre 2021, l'Association des professionnels soudanais, avait appelé à de nouvelles manifestations mardi pour réclamer un pouvoir civil.
"Non, Non au régime militaire", ont scandé les manifestants, appelant à la dissolution du Conseil de souveraineté, dirigé par le chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, auteur du coup d'Etat qui a fait dérailler la transition démocratique.
Les protestataires ont défilé en direction du palais présidentiel à Khartoum, mais les rues menant au palais et au QG de l'armée ont été bouclées par la police anti-émeute, les forces paramilitaires et l'armée qui ont tiré des grenades lacrymogènes sur la foule, selon des témoins.
Les forces de sécurité ont également tiré des gaz lacrymogènes à Omdourman et à Port Soudan.
Pneus brûlés, barricades
Dans le sud de Khartoum, les manifestants ont chanté "le régime civil est le choix du peuple", selon un témoin. Dans l'est de la capitale, ils "ont brûlé des pneus et érigé des barricades en pierre dans les rues", d'après un autre.
D'autres ont exhorté les soldats déployés à retourner dans leur caserne.
Aucune indication n'a été donnée dans l'immédiat sur d'éventuelles victimes. Et en soirée les manifestants se sont dispersés dans le calme.
Les militaires sont seuls aux commandes depuis la démission dimanche du Premier ministre Abdallah Hamdok, un civil, faisant craindre un retour à la dictature.
La répression des manifestations contre l'armée a fait depuis le coup d'Etat au moins 57 morts et des centaines de blessés, selon un syndicat indépendant de médecins.
D'après l'ONU, au moins 13 femmes ont été violées pendant les troubles, et de nombreux journalistes passés à tabac et même arrêtés tandis qu'internet et le téléphone ne fonctionnent que selon le bon vouloir du pouvoir.
Le 21 novembre, le général Burhane avait réintégré Abdallah Hamdok dans un accord promettant des élections mi-2023, mais le mouvement de protestation a qualifié cette entente de "trahison" et poursuivi ses protestations.
En démissionnant, M. Hamdok a affirmé avoir tenté d'empêcher le pays "de glisser vers la catastrophe" mais que la Soudan se trouvait désormais à un "carrefour dangereux menaçant sa survie".
Mise en garde de Washington et l'UE
En recevant mardi le chargé d'affaires américain Brian Shukan, M. Burhane a souligné la nécessité de "poursuivre le dialogue entre toutes les parties pour parvenir à un programme de consensus national", selon un communiqué de son bureau.
Il a également discuté avec le représentant spécial de l'ONU Volker Perthes de "l'accélération de la nomination d'un nouveau Premier ministre", d'après le texte.
Néanmoins les Etats-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et la Norvège ont exhorté l'armée soudanaise à ne pas nommer unilatéralement un nouveau chef de gouvernement, soutenant dans une déclaration commune qu'ils "ne soutiendront pas un Premier ministre ou un gouvernement nommé sans l'implication d'un grand panel d'acteurs civils".
Le Soudan navigue dans une transition fragile vers un régime civil à part entière depuis l'éviction en avril 2019 du dictateur Omar el-Béchir par l'armée sous la pression de la rue.
Le général Burhane a prolongé son mandat de deux ans, effaçant toute idée d'un transfert du pouvoir aux civils avant la fin de la transition qu'il promet toujours pour juillet 2023 avec des élections.
Grand pays d'Afrique de l'Est, le Soudan est plongé dans une grave crise économique avec des infrastructures défaillantes, qui n'a fait qu'accroître le mécontentement d'une population appauvrie par une inflation à plus de 300%.