ISLAMABAD: L’ex-président afghan a confié qu’il n’avait d’autre choix que de quitter brusquement Kaboul alors que les talibans se rapprochaient de lui et a nié qu’un accord était en cours de préparation pour une prise de pouvoir pacifique, contestant les récits d’anciens responsables afghans et américains.
L’ancien président Ashraf Ghani a raconté dans une interview diffusée jeudi sur la BBC qu’un conseiller ne lui avait donné que quelques minutes pour décider d’abandonner la capitale. Il a également démenti les accusations largement répandues selon lesquelles il aurait quitté l’Afghanistan avec des millions volés.
Le départ soudain et secret de M. Ghani, le 15 août, a laissé la ville sans direction, alors que les forces américaines et de l’Otan en étaient aux dernières étapes de leur retrait chaotique du pays après vingt ans.
«Ce matin-là, je ne me doutais pas que je partirais en fin d’après-midi», a indiqué M. Ghani à la radio de la BBC.
Cependant, ses propos sont en contradiction avec d’autres récits.
L’ancien président Hamid Karzi a déclaré à l’Associated Press dans une interview accordée au début du mois, que le départ de M. Ghani a sabordé l’opportunité pour les négociateurs du gouvernement, dont lui-même et le président du Haut Conseil pour la réconciliation nationale, Abdallah Abdallah, de conclure un accord de dernière minute avec les talibans, qui s’étaient engagés à rester en dehors de la capitale.
Après avoir appelé le ministre de la Défense Bismillah Khan, le ministre de l’Intérieur et le chef de la police, et découvert que tous avaient fui la capitale, M. Karzai a précisé qu’il avait invité les talibans à Kaboul «pour protéger la population afin que le pays et la ville ne sombrent pas dans le chaos et que les éléments indésirables qui pilleraient probablement le pays, ne pillent pas les magasins».
Toutefois, dans son interview radio avec le général britannique Sir Nick Carter, ancien chef d’état-major de la défense, M. Ghani a expliqué qu’il avait fui «pour empêcher la destruction de Kaboul», affirmant que deux factions talibanes rivales se dirigeaient vers la ville et étaient prêtes à y entrer et à livrer une bataille acharnée pour en prendre le contrôle. Il n’y avait aucune preuve de l’entrée des factions rivales que M. Ghani avait mentionnées.
Les insurgés ont rapidement pris le contrôle du palais et, selon les travailleurs humanitaires, qui se sont exprimés sous le couvert de l’anonymat et qui se trouvaient sur place à ce moment-là, les talibans se sont déplacés pour protéger leurs installations.
Pourtant, l’entrée des talibans dans la capitale a été accueillie avec une peur généralisée et un désir profond de la part de beaucoup de gens de fuir leur pays désespérément pauvre, malgré les milliards d’euros versés par la communauté internationale au cours des vingt années de pouvoir des gouvernements soutenus par les États-Unis.
Dans son interview, M. Ghani a nié les accusations largement répandues selon lesquelles il aurait quitté l’Afghanistan avec de l’argent volé. L’inspecteur général spécial américain pour la reconstruction de l’Afghanistan, John Sopko, a été chargé d’enquêter sur ces allégations.
Les gouvernements afghans successifs, ainsi que les entrepreneurs indépendants étrangers et afghans, ont été accusés de corruption généralisée au cours des vingt dernières années. M. Sopko a publié des dizaines de rapports documentant les incidents de corruption les plus flagrants. Washington a dépensé 146 milliards de dollars (1 dollar = 0,88 euro) pour la reconstruction de l’Afghanistan depuis le renversement des talibans en 2001. Pourtant, avant même le retour des insurgés en août, le niveau de pauvreté dans ce pays était de 54%.
En début de semaine, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, un regroupement de journalistes d’enquêtes comptant 150 journalistes dans plus de 30 pays, a classé Ashraf Ghani parmi les dirigeants les plus corrompus du monde. Le président du Belarus, Aleksandr Lukashenko, a été désigné comme le plus corrompu. M. Ghani; le président syrien, Bachar al-Assad; le président turc, Recep Tayyip Erdogan; et l’ancien chancelier autrichien Sebastian Kurz font partie des finalistes pour le titre de plus corrompu.
Après avoir été informé par son conseiller en matière de sécurité nationale, Hamdullah Mohib, que sa force de protection personnelle n’était pas en mesure de le défendre, M. Ghani a annoncé qu’il allait partir. Affirmant que M. Mohib, qui «était littéralement terrifié», ne lui a laissé que deux minutes pour décider de partir ou non, M. Ghani a insisté sur le fait qu’il ne savait pas où il serait emmené, même après être monté dans l’hélicoptère qui se préparait à évacuer Kaboul.
M. Ghani n’a pas abordé la question de l’effondrement rapide de l’armée afghane dans les semaines qui ont précédé l’arrivée définitive des talibans à Kaboul, mais il a imputé la responsabilité de l’effondrement de son gouvernement à un accord signé entre les États-Unis et les talibans en 2020. Cet accord fixait les conditions du retrait définitif des dernières forces américaines et de l’Otan, mettant fin à la plus longue guerre des États-Unis. Il prévoyait également la libération de 5 000 prisonniers talibans, ce qui, selon M. Ghani, a renforcé la force des insurgés.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com