NAIROBI: Les rebelles éthiopiens du Tigré, qui avaient avancé ces derniers mois dans les régions voisines de l'Amhara et de l'Afar, sont en train de se replier vers leur région afin d'"ouvrir la porte" à l'aide humanitaire, a annoncé lundi à l'AFP leur porte-parole.
Cette annonce ouvre une nouvelle phase de ce conflit meurtrier qui oppose depuis plus d'un an les forces pro-gouvernementales aux rebelles tigréens et a déclenché une profonde crise humanitaire.
"Nous avons décidé de nous retirer de ces zones vers le Tigré. Nous voulons ouvrir la porte à l'aide humanitaire", a déclaré Getachew Reda, porte-parole du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Jusqu'ici, le TPLF qualifiait d'"absolument pas envisageable" un retrait de ces deux régions, réclamé par le gouvernement comme préalable à des négociations.
De leur côté, les rebelles exigeaient des autorités fédérales qu'elles mettent fin au "siège" humanitaire du Tigré.
"Nous menons des retraits phase par phase. Nous avons commencé à retirer nos forces il y a quelques semaines. Nous l'annonçons maintenant", a expliqué lundi M. Getachew, affirmant notamment que les rebelles ont "quitté" Lalibela.
Cette ville classée par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité, célèbre pour ses églises taillées dans le roc datant des XIIe et XIIIe siècles, a plusieurs fois changé de mains, tout comme d'autres localités.
Ethiopie: Washington dit espérer qu'un repli des rebelles au Tigré «ouvre la porte» à la diplomatie
Les Etats-Unis ont dit lundi espérer que le repli annoncé par les rebelles au Tigré, dans le nord de l'Ethiopie, "ouvre la porte" à la diplomatie pour mettre fin au conflit.
"Si nous assistons bien à un mouvement des forces tigréennes refluant vers le Tigré, c'est quelque chose que nous saluons" et "nous espérons que cela ouvre la porte plus largement à la diplomatie", a déclaré le porte-parole du département d'Etat américain Ned Price.
Il n'a été en mesure de confirmer le repli annoncé par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui avait avancé ces derniers mois dans les régions voisines de l'Amhara et de l'Afar, et qui a annoncé lundi être retourné au Tigré. "Nous sommes au courant de ces informations", s'est-il borné à dire.
"Nous exhortons depuis longtemps à la cessation des hostilités, et notamment au retour au Tigré des forces du TPLF" et à "une résolution négociée du conflit", a souligné le porte-parole américain.
«Pertes considérables»
Depuis fin octobre, les deux parties revendiquent chacune des avancées territoriales majeures mais les communications sont coupées dans les zones de combats et l'accès des journalistes y est restreint, rendant difficile toute vérification indépendante des positions sur le terrain.
Pendant un temps, les rebelles affirmaient se trouver à environ 200 km de la capitale Addis Abeba.
Fin novembre, les médias d'Etat avaient annoncé l'arrivée sur le front du Premier ministre Abiy Ahmed, un ancien lieutenant colonel de l'armée, pour y mener une "contre-offensive". Le gouvernement a ensuite revendiqué plusieurs victoires.
Lundi, la porte-parole du Premier ministre, Billene Seyoum, a déclaré à l'AFP que l'annonce du TPLF servait à masquer des déconvenues militaires.
"Le TPLF a subi des pertes considérables au cours des dernières semaines et prétend ainsi (faire) une +retraite stratégique+ pour maquiller une défaite", a-t-elle dit.
"Il y a toujours des poches dans la région Amhara où ils sont encore, de même que d'autres fronts où ils tentent d'ouvrir le conflit."
La guerre a éclaté en novembre 2020 après qu'Abiy Ahmed a envoyé l'armée fédérale dans la région septentrionale du Tigré afin d'en destituer les autorités locales, issues du TPLF, qui défiaient son autorité et qu'il accusait d'avoir attaqué des bases militaires.
Abiy Ahmed avait proclamé la victoire trois semaines plus tard, après la prise de la capitale régionale Mekele. Mais en juin, le TPLF a repris l'essentiel du Tigré, puis avancé dans les régions voisines de l'Afar et de l'Amhara.
Le conflit a fait plusieurs milliers de morts, plus de deux millions de déplacés et plongé des centaines de milliers d'Ethiopiens dans des conditions proches de la famine, selon l'ONU.
Ethiopie: les dates marquantes du conflit au Tigré
Voici les principales dates du conflit meurtrier qui oppose depuis plus d'un an les forces pro-gouvernementales aux rebelles du Tigré (nord) qui ont annoncé lundi un repli vers leur région.
Le conflit a fait plusieurs milliers de morts et déclenché une profonde crise humanitaire.
Intervention militaire
Le 4 novembre 2020, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019 pour avoir résolu le conflit avec l'Erythrée, lance une opération militaire contre les autorités régionales du Tigré, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) qu'il accuse d'avoir attaqué deux bases de l'armée fédérale.
Le 13, l'ONU s'alarme d'une "crise humanitaire à grande échelle" à la frontière avec le Soudan, où des dizaines de milliers de civils ont fui.
La présence de troupes venues de l'Erythrée voisine, ennemie jurée du TPLF depuis une guerre frontalière (1998 à 2000) est signalée.
Le 28, Abiy Ahmed déclare l'opération militaire "terminée" après que l'armée a pris la capitale régionale Mekele. Mais les combats se poursuivent.
Exactions, «désastre humanitaire»
Le 26 février 2021, Amnesty International accuse des soldats érythréens d'avoir tué "des centaines de civils" en novembre à Aksoum.
Le 10 mars, Washington dénonce des "actes de nettoyage ethnique" au Tigré occidental, contrôlé par les forces de la région voisine de l'Amhara appuyant l'armée éthiopienne.
Le 23 mars, Abiy Ahmed reconnaît la présence de troupes érythréennes au Tigré, puis annonce leur départ.
Contre-offensive rebelle
Le parti d'Abiy Ahmed remporte une majorité écrasante aux élections législatives et régionales du 21 juin.
Le 28, les rebelles entrent dans Mekele, dix jours après avoir lancé une contre-offensive.
Le 3 juillet, un haut responsable onusien déclare que plus de 400 000 personnes ont "franchi le seuil de la famine" au Tigré.
Le 5 août, les rebelles prennent la ville de Lalibela, en région Ahmara, classée au patrimoine mondial de l'Unesco.
Mobilisation générale
Le 10 août, Abiy Ahmed appelle la population à rejoindre les forces armées.
Fin octobre, le TPLF revendique la prise de Dessie et Kombolcha, villes stratégiques sur l'axe reliant la capitale au nord.
Le gouvernement dément mais déclare l'état d'urgence le 2 novembre.
Le lendemain, un rapport conjoint ONU-Ethiopie conclut à de possibles crimes contre l'humanité commis par "toutes les parties".
Appels au cessez-le-feu
Plusieurs pays dont les Etats-Unis appellent leurs ressortissants à quitter l'Ethiopie. Le Conseil de sécurité de l'ONU réclame un cessez-le-feu.
Le 12 novembre, Washington impose des sanctions contre l'Erythrée.
Abiy Ahmed au front, localités reprises
A partir du 24 novembre, Abiy Ahmed dirige au front la "contre-offensive".
Les autorités annoncent la reprise de Lalibela le 1er décembre, puis de Dessie et Kombolcha (nord) le 6.
Le 8, le Premier ministre regagne la capitale.
Les rebelles disent avoir repris Lalibela le 12.
Enquête sur les exactions
Le 17 décembre, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU approuve un mécanisme international d'enquête sur les exactions liées au conflit.
Le 20, les rebelles disent avoir quitté Lalibela et annoncent plus généralement leur repli vers le Tigré afin d'"ouvrir la porte" à l'aide humanitaire dans leur région.
Lettre à l'ONU
Les intenses efforts diplomatiques menés notamment par l'Union africaine pour tenter de parvenir à un cessez-le-feu n'ont jusqu'à présent permis aucun progrès décisif.
Lundi, jour où le Conseil de sécurité de l'ONU doit tenir une réunion sur l'Ethiopie, M. Getachew a affirmé que le leader du TPLF, Debretsion Gebremichael, avait envoyé une lettre au secrétaire général Antonio Guterres pour l'informer du repli.
Selon des copies de la lettre circulant sur les réseaux sociaux, M. Debretsion y appelle le Conseil de sécurité à veiller au retrait des forces amhara et érythréennes du Tigré occidental.
Amhara et Tigréens revendiquent l'ouest du Tigré et les Amhara ont pris au début de la guerre le contrôle de ces terres fertiles. L'ONU s'y est inquiétée de larges déplacements de population et les Etats-Unis d'actes de "nettoyage ethnique".
"Nous avons besoin que la communauté internationale agisse", a déclaré M. Getachew.
La semaine dernière, Amnesty international et Human Rights Watch (HRW) ont accusé les forces amhara d'arrêter, de torturer et d'affamer des civils tigréens dans cette région contestée.
Les craintes d'une marche des rebelles sur la capitale ont incité plusieurs pays - dont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni - à demander à leurs citoyens de quitter l'Éthiopie dès que possible.
Vendredi, l'ONU a donné son feu vert à un mécanisme international d'enquête sur les exactions commises en Ethiopie.