PARIS: Des récits de victimes éprouvants, un principal accusé provocateur, un ancien chef de l'Etat défensif: voici les moments forts de près de quatre mois d'audience au procès "historique" des attentats du 13-Novembre en France.
Il reprendra le 4 janvier après une pause de deux semaines, et doit s'achever fin mai 2022.
«L'audience est ouverte»
Le 8 septembre, c'est jour d'effervescence dans l'immense salle d'audience spécialement construite pour l'occasion. De nombreux avocats et journalistes, et quelques dizaines de parties civiles se serrent sur les bancs. Tension et émotion se mêlent à la solennité de l'instant.
A 13H17, la sonnerie retentit, la cour d'assises spécialement composée fait son entrée, public et accusés se lèvent. "L'audience criminelle est ouverte, vous pouvez vous asseoir", déclare le président, Jean-Louis Périès.
Avant de donner le coup d'envoi de neuf mois d'un procès déjà "qualifié d'historique", le magistrat souligne l'importance du "respect de la norme" et "des droits de la défense", et appelle chacun à "maintenir la justice dans sa dignité".
«Rien de personnel»
Sixième jour du procès, le président Périès a décidé de donner la parole aux accusés pour une brève déclaration spontanée.
Seul membre encore en vie des commandos jihadistes, Salah Abdeslam abandonne sa virulence des premiers jours et parle d'un ton calme, qui glace l'audience. "On a attaqué la France, visé la population, des civils, mais il n'y avait rien de personnel", déclare celui qui avait observé un silence quasi constant pendant l'enquête. Il précise : son "but" est d'être "sincère", "pas de blesser".
"François Hollande (le président français à l'époque) a dit que nous avons combattu la France à cause de ses valeurs, mais c'est un mensonge", continue Salah Abdeslam, blâmant les "avions français qui ont bombardé l'Etat islamique, les hommes, les femmes, les enfants". L'ex-chef de l'Etat "savait les risques qu'il prenait", conclut-il au bout de cinq minutes.
Sur les bancs des parties civiles, certains pleurent ou bouillonnent de colère, d'autres restent prostrés.
Pas d'images «inutilement choquantes»
Egalement filmé "pour l'Histoire", le procès des attentats du 13-Novembre tranche avec celui des attaques contre Charlie Hebdo, l'hebdomadaire satirique ciblé pour avoir publié des caricatures de Mahomet, et l'Hyper Cacher, une épicerie juive en région parisienne. La cour a cette fois fait le choix de la retenue et de ne pas faire voir d'images "inutilement choquantes".
Seules de brèves vidéos filmées par des riverains du Bataclan ou des terrasses mitraillées à l'arme de guerre, en évitant de montrer les corps, ont été diffusées - notamment lors des auditions d'enquêteurs aguerris encore "sidérés" par la violence de ces scènes de guerre.
A l'opposé, la cour a accepté que soient montrées plusieurs vidéos de propagande de l'organisation Etat islamique, parfois expurgées des scènes les plus atroces, dont celles d'un pilote jordanien brûlé vif dans une cage début 2015 en Syrie.
Le récit collectif des rescapés
Pendant cinq semaines, environ 350 rescapés ou proches des victimes ont défilé à la barre pour raconter "leur 13-Novembre". De ces histoires singulières est né le récit collectif de l'insouciance perdue, la culpabilité intacte et la difficile voire impossible reconstruction.
"Ca fait six ans que je tourne autour de ma peine", a confié Aurélie Silvestre, enceinte lorsque son compagnon est décédé au Bataclan. "Je ne courrai plus, je ne rêve plus, les rêves ont dépeuplé mes nuits", a raconté Maya, rescapée du Carillon dont le mari et deux amies ont été tués.
Ces témoignages ont permis de dresser une cartographie des attaques, de mettre en lumière la froide détermination des tueurs, et de rendre hommage aux disparus, visages jeunes et souriants projetés sur les écrans de la salle.
Les voix des jihadistes
Les mots se suffisent-ils pour rendre compte de l'horreur? La question est posée le 28 octobre par Arthur Dénouveaux, président de l'association de victimes Life for Paris.
Contrevenant aux précautions prises jusque-là, le président Périès décide de diffuser un bref extrait de l'enregistrement audio qui a capté le massacre au Bataclan. Longuement décrites à la barre par les rescapés, les voix très monocordes des jihadistes et leurs exécutions méthodiques - "un pleur, un tir, un téléphone qui sonne, un tir" - prennent forme et résonnent, brusquement.
"C'est pour la Syrie et pour l'Irak", revendique sans ferveur l'un des assaillants dans cet enregistrement. "Vous ne pouvez vous en prendre qu'à votre président François Hollande", peut-on encore entendre, entre deux tirs. Et cet avertissement: "Le premier qui bouge, je lui mets une balle dans la tête, c'est clair?"
«Bonjour M. le président»
On n'avait pas vu telle affluence au procès depuis son ouverture et l'ambiance est solennelle ce 10 novembre quand François Hollande s'avance à la barre. C'est la première fois qu'un ancien chef de l'Etat témoigne aux assises.
"Bonjour Monsieur le président", lui dit Jean-Louis Périès. "Bonjour Monsieur le président", répond le témoin, sourire en coin. Rires dans la salle.
François Hollande ne prononcera pas le nom du principal accusé et ne regardera pas le box, mais ses mots sonnent comme une réponse à ceux de Salah Abdeslam. "Ce groupe nous a frappés non pas pour nos modes d'action à l'étranger mais pour nos modes de vie ici-même", martèle François Hollande devant la cour. "On nous a fait la guerre, nous avons répondu".