PARIS: Un nouveau front militant s'ouvre avant l'élection présidentielle française avec l'apparition des Corsaires de France, des militants numériques décidés à s'opposer au collectif Sleeping Giants, qui fait pression sur les marques en dénonçant les publicités placées dans des médias conservateurs et d'extrême droite.
Des affiches au logo stylisé "Les Corsaires" avec pour slogan "Face aux Sleeping Giants à l'abordage" signalent depuis début décembre leur présence dans Paris, indiquant compte Twitter, QR code et site internet.
Les Corsaires se présentent comme une "armada numérique" hostile aux Sleeping Giants, un collectif né aux Etats-Unis qui interpelle sur les réseaux sociaux les annonceurs des médias très à droite ou véhiculant des discours racistes, xénophobes, etc., dans le but d'assécher leurs financements publicitaires.
Actif depuis 2017 en France, le collectif Sleeping Giants, formé après l'élection de Donald Trump, a notamment ciblé depuis le magazine Valeurs actuelles, la chaîne d'informations CNews et les sites d'extrême droite Boulevard Voltaire et Breizh.info, leur occasionnant d'importantes pertes publicitaires.
Suffisamment pour que la société Valmonde et Cie, propriétaire de Valeurs actuelles, porte plainte en juin contre les Sleeping Giants pour "discrimination" devant la justice française.
Cette plainte "a pour objet de dénoncer des faits de discrimination, à raison des opinions politiques, et de nature à entraver l'exercice normal d'une activité économique", expliquait alors l'hebdomadaire sur son site.
A l'approche de l'élection présidentielle, marquée par l'entrée en lice du candidat d'extrême droite Eric Zemmour, ancien polémiste de la chaîne CNews détenue par l'homme d'affaires conservateur Vincent Bolloré, la riposte numérique s'est formée.
Parmi les "missions" que s'assignent les Corsaires de France: "défendre les marques invectivées" afin de "les soutenir ou les ramener à la raison" et "protéger" tout média, "quelle que soit sa ligne de pensée, des attaques et intimidations de groupuscules opposés à leur existence".
Publicitaires et communicants à la manœuvre
Le site des Corsaires, actifs sur la toile depuis cet automne, témoigne d'une stratégie numérique soigneusement pensée et de codes de communication maîtrisés entre visuels aux formules chocs et à l'esthétique léchée, clip de mobilisation et éléments de langage clés en main.
Ce prêt-à-batailler numérique a été élaboré par "une petite dizaine de têtes pensantes" venues essentiellement de la publicité et des agences de communication, s'appuyant sur au moins 1.400 activistes, selon le porte-parole des Corsaires de France.
Dans ce "scénario de guérilla numérique", ces cyber-militants sont essentiels. Quand les Sleeping Giants interpellent une marque, "dans le quart d'heure qui suit, on alerte une communauté de bénévoles en leur proposant de publier des tweets, dont on automatise la production", détaille ce Corsaire anonyme.
"Pour un tweet des Sleeping Giants, on a entre 150 et 200 réactions spontanées", ajoute-t-il.
"Ce n'est pas la première tentative d'opérer un contre-feu aux Sleeping Giants. La première avait un peu fait flop et provenait d'individus du même acabit, de droite et droite extrême", affirme à l'AFP Tristan Mendès-France, spécialiste du conspirationnisme, soutien des Sleeping Giants et fondateur de l'initiative Stop Hate Money.
"En général les marques sont reconnaissantes d'apprendre où elles sont affichées", assure Rachel, porte-parole de la branche française du collectif, affirmant que "chaque cible de Sleeping Giants a été condamnée pour racisme".
Sur leur compte Twitter, qui compte 37 000 abonnés, les Sleeping Giants répondent par une rhétorique censément ludique de "chasse au trésor" calquée sur le jeu "Pokemon GO" pour repérer les affiches des Corsaires dans Paris.
Dans cette confrontation cyber-militante, les marques sont "prises entre le marteau et l'enclume", déplore Jean-Luc Chetrit, directeur général de l'Union des marques.
"Ce n'est pas le rôle des marques que de décider de ce qui peut ou pas être diffusé dans des médias", argue le professionnel du marketing.
Pour Romain Badouard, chercheur à l'Institut français de presse, si ces groupes militants "passent par ce mode d'action, c'est que n'importe quel annonceur peut demander à une régie publicitaire d'exclure un site en particulier de leur affichage de publicité".
Mais "ce que font ces militants, d'un camp comme de l'autre, n'a rien d'illégal: ils prennent des captures d'écran, publient des tweets, prennent à partie des marques", rappelle-t-il.
Difficile de "limiter ces pratiques sans limiter la liberté d'action des militants" ou la "liberté associative", estime ce spécialiste du numérique.