WASHINGTON : Les salariés américains continuent à quitter par millions chaque mois leur emploi depuis la sortie de la pandémie pour bénéficier des opportunités créées par la reprise et les entreprises sont confrontées à des pénuries de main d'œuvre inédites.
A 184.000, les demandes d'allocations chômage sont tombées la semaine dernière à leur plus bas niveau depuis septembre 1969, a annoncé jeudi le ministère du Travail.
Le nombre de postes vacants atteint des sommets à la faveur de la reprise de la demande dans les bars, hôtels, restaurants et autres industries des services.
Pourtant, recruter, en particulier du personnel non qualifié acceptant de venir travailler en personne, est devenu un casse-tête pour de nombreux employeurs.
"Nous n'avons jamais vu un tel écart entre le nombre d'offres d'emplois et les chômeurs" accompagné de démissions en bloc, témoigne Curtis Dubay, économiste à la Chambre de commerce américaine.
Pour lui, la pandémie a certainement changé la relation au travail.
Les entreprises qui offrent "des emplois traditionnellement moins agréables et moins qualifiés ont plus de mal à retenir les travailleurs", souligne-t-il. Ces derniers "ne supportent tout simplement plus" de revenir à leurs conditions d'avant Covid-19.
Depuis avril, des millions de personnes, en écrasante majorité des salariés peu qualifiés du secteur des services, n'hésitent plus en effet à quitter leur emploi alors que les offres ne manquent pas.
« Grande démission »
Quelque 4,2 millions d'Américains ont ainsi démissionné en octobre, après 4,4 millions en septembre et 4,3 millions en août, selon les dernières données du bureau des statistiques.
Sur Twitter où le hashtag "#GreatResignation" ("La grande démission") a fait son apparition, les témoignages se multiplient: "commençons par traiter les gens avec plus d'humanité et de compassion", "nous quittons notre travail car nous n'avons rien à perdre", peut-on lire.
Et certains de prévenir les entreprises: "mettez le meilleur sur la table et peut-être que nous ferons de même".
"L'environnement actuel donne définitivement aux employés davantage de pouvoir de négociation", observe Erik Lundh, économiste au centre de recherches Conference Board.
Pour tenter de contenir la "grande démission", les entreprises ont déjà augmenté les salaires et proposé plus d'avantages sociaux.
La part des offres d'emploi proposant des primes en plus du salaire de base a ainsi plus que doublé entre le début de la pandémie, en mars 2020 et octobre 2021, selon une étude menée par le Conference Board publiée mercredi.
Et la hausse de ces primes est plus marquée pour les emplois manuels ne nécessitant pas de diplôme universitaire et sans possibilité de télétravail, ainsi que pour les emplois dans les industries confrontées aux plus grandes pénuries de main-d'œuvre, notamment l'éducation et les soins de santé.
La tendance devrait se poursuivre l'année prochaine. "La plupart des entreprises projettent d'augmenter les salaires de 4%" en 2022, indique Erik Lundh.
Au risque d'"exacerber l'actuelle dynamique inflationniste", signale Lydia Boussour, économiste pour Oxford Economics.
Personne n'avait anticipé un retournement si brutal alors qu'en avril 2020, le taux de chômage avait culminé à 14,8%, plus haut niveau depuis 1948 quand il a commencé à être mesuré. En novembre, il est retombé à 4,2%.
L'augmentation des bas salaires était souhaitable compte-tenu des écarts salariaux importants, soulignent les économistes.
Pour autant, Erik Lundh ne s'attend pas à "une révolution" du marché du travail américain.
Aux Etats-Unis, il y a toujours eu "moins d'obstacles aux licenciements et à la possibilité de quitter son emploi", rappelle-t-il. D'où une grande volatilité aujourd'hui.
Curtis Dubay ajoute que pour le moment de nombreux Américains peuvent se permettre de démissionner et de prendre leur temps pour retravailler grâce à l'épargne accumulée pendant la pandémie et les aides gouvernementales. Mais il s'attend aussi à une normalisation au fil des mois.
En attendant, "il est très risqué pour les entreprises de licencier du personnel à moins qu'elles n'aient pas d'autre choix, car réembaucher des personnes plus tard sera difficile et probablement coûteux", conclut Ian Shepherdson, économiste chez Pantheon Macroeconomics.