BRUXELLES : Fini le temps de l'Europe naïve ? Bruxelles a dévoilé mercredi un projet d'instrument qui permettrait de punir rapidement tout pays utilisant des sanctions économiques pour exercer des pressions contre l'UE ou un de ses membres.
L'Europe est un géant économique qui peine à peser sur la scène mondiale, dans un contexte de tensions croissantes entre les États-Unis d'un côté, la Chine et la Russie de l'autre.
À l'heure actuelle, la prise de décision en matière de politique étrangère européenne requiert l'unanimité des 27 États membres. Cette règle limite les capacités de réaction de l'Europe en cas de crise, chaque pays ayant tendance à défendre ses intérêts propres.
D'où l'idée de concentrer de nouveaux pouvoirs au sein de l'exécutif européen à Bruxelles.
Selon la proposition législative présentée mercredi, la Commission européenne disposerait d'une liste d'options pour répondre aux menaces économiques des gouvernements étrangers. Pour s'opposer à ces mesures de rétorsion, les États membres auraient besoin d'une majorité qualifiée (15 États membres sur 27 représentant au moins 65% de la population totale de l'UE).
Arme de dernier recours
"Nous envoyons un message clair : l'UE défendra fermement ses intérêts", a déclaré le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis.
"Le commerce est de plus en plus utilisé comme une arme et l'UE ainsi que ses États membres sont visés par des tentatives d'intimidation économique", a-t-il souligné.
Le nouvel "outil anti-coercition" permettrait le recours à différents types de représailles : gel de l'accès aux marchés publics, blocage d'autorisations de mise sur le marché de certains produits, interdiction de participer à des projets de recherche financés par l'UE, etc.
Les sanctions se veulent "un outil de dissuasion, une défense en dernier recours, face à des pays qui agissent en dehors des lois internationales", a expliqué Valdis Dombrovskis lors d'une conférence de presse.
Différentes étapes sont prévues avant leur déclenchement : négociations avec les pays tiers visés, coordination avec les partenaires concernés de l'UE et, si nécessaire, consultation préalable des autres institutions européennes (États membres, Parlement).
Dans l'immédiat, la proposition de la Commission va être soumise au Parlement européen et aux États membres qui pourront la modifier. Certains gouvernements ont déjà exprimé de fortes réticences à céder de tels pouvoirs à Bruxelles.
Une Europe «moins naïve»
Pour la France, qui s'apprête à assurer la présidence tournante de l'UE pour six mois à partir de janvier, cette initiative "vient combler un manque essentiel", a commenté le ministre chargé du commerce, Franck Riester.
"L'UE franchit une étape pour bâtir une politique commerciale moins naïve", a-t-il affirmé.
L'idée de renforcer les outils de rétorsion ne vise officiellement aucun pays en particulier. Mais le concept d'autonomie stratégique de l'UE, souhaité notamment par la France, a gagné du terrain dans le sillage de la présidence Trump, quand les États-Unis ont imposé des sanctions commerciales à l'UE.
Les nouvelles armes européennes pourraient être brandies dans un conflit du type de celui qui oppose actuellement la Lituanie à la Chine, a expliqué M. Dombrovskis.
Le pays balte accuse Pékin de bloquer ses exportations pour protester contre l'ouverture en juillet d'une représentation diplomatique taïwanaise à Vilnius. La Chine considère Taïwan comme une partie de son territoire. Pour l'instant, l'UE étudie la situation et pourrait saisir l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Certains pays estiment d'ailleurs peu judicieux de s'écarter du cadre de résolution des conflits de l'OMC. Dans une prise de position écrite, le gouvernement suédois reconnaît un contexte de "concurrence géopolitique mondial où les instruments économiques et commerciaux jouent un rôle clé", mais il doute que "le problème soit suffisamment important pour justifier la proposition" de la Commission.
Développer un ordre commercial juste et fondé sur des règles "dans le cadre de l'OMC doit être une priorité de l'UE. Mais, cela ne suffit pas", affirme cependant l'eurodéputé social-démocrate allemand Bernd Lange, président de la Commission au commerce extérieur du Parlement européen.
Les conservateurs du groupe PPE soutiennent aussi le nouvel instrument tout en mettant en garde sur ses possibles dérives. "Nous ne voulons pas qu'il ouvre une course aux armements commerciaux et renforce les tendances protectionnistes", a déclaré Christophe Hansen.