DUBAÏ: Il y a vingt-quatre ans, Nayla Audi a publié son seul ouvrage, intitulé Les Maisons de Beyrouth. Il s’agit d’un livre surdimensionné en forme de maison qui a été créé pour les enfants. Mais à la Dubai Design Week le mois dernier, les adultes aussi ont ouvert les «portes» de sa couverture pour découvrir les aquarelles traditionnelles qu’il renferme, réalisées par l’amie de Mme Audi, la peintre Flavia Codsi.
La renaissance actuelle du livre a été rendue possible grâce aux deux filles de Mme Audi, Yasmine et Julie, qui ont réédité l’ouvrage à la suite de l’explosion du port de Beyrouth l’année dernière, après avoir trouvé un exemplaire du livre – un souvenir nostalgique de leur enfance –, qui avait survécu aux dégâts infligés à leur maison familiale dans le quartier de Gemmayzé.
«Cela nous a vraiment affectées personnellement», confie Julie, qui habite à Londres, à Arab News. «Nous avons pensé qu’il fallait que nous fassions tout notre possible pour préserver ce livre, le rééditer et faire de notre mieux pour que ces maisons restent. Nous avons grandi en prenant toutes ces choses pour acquises. Mais maintenant, avec un peu de maturité et d’âge, nous réalisons aussi qu’il est important pour nous de continuer ce que notre mère a commencé.»
Selon Julie, la version originale du livre, publiée en anglais et en français, avait connu un grand succès auprès des Libanais.
«Beaucoup de jeunes de notre génération ont grandi avec ce livre, explique-t-elle. Grâce à ce projet, nous avons reçu de nombreux messages disant: “Ça me rappelle mon enfance” ou “Ce livre était mon préféré quand j’étais enfant”.»
Les images détaillées et idylliques rappellent au lecteur des moments petits mais significatifs de la vie quotidienne: des élèves rentrant à la maison après l’école, des jeunes courant avec le drapeau libanais, un vendeur ambulant remplissant un panier de légumes et le bleu serein de la mer le long de la corniche.
Mais, comme l’indique le titre, ce sont les longues maisons traditionnelles avec leurs toits en briques rouges et leurs triples arches, que l’on peut voir dans les rues de la capitale libanaise, qui occupent une place centrale.
«Elle s’est rendu compte de l’importance des maisons patrimoniales à Beyrouth et de l’importance pour nous, qui étions très petites à l’époque, de nous en souvenir», souligne Yasmine.
La plupart de ces maisons patrimoniales, dont certaines ont été construites il y a plus d’un siècle, ont été gravement touchées par l’explosion. Les sœurs ont donc décidé que tous les bénéfices de la vente du livre seraient reversés à la Beirut Heritage Initiative, lancée en 2020 pour restaurer les bâtiments historiques gravement endommagés.
Outre le fait que c’est leur mère qui l’a écrit, Les Maisons de Beyrouth est très personnel pour les sœurs à d’autres égards. Julie et Yasmine (et leur chat) figurent en effet dans les pages charmantes et colorées du livre et elles ont grandi dans l’une des maisons patrimoniales représentées dans le livre, la «Maison blanche».
«L’intérieur est disposé de manière ouverte et traditionnelle: le salon se trouve au milieu et les chambres sur le côté», explique Yasmine. «Quand nous étions enfants, le balcon était notre endroit préféré. C’était un peu comme notre terrain de jeu.»
Pour la réimpression de ce livre relié à la main, les sœurs ont gardé l’histoire telle quelle, bien qu’elles aient seulement imprimé la version anglaise; elles ont même eu recours à la même imprimerie de famille, Anis, créée à la fin des années 1950, qui avait publié l’ouvrage à l’origine. Comme beaucoup de commerces à Beyrouth, l’imprimerie Anis a été pratiquement détruite, si bien que le relèvement a été difficile.
«Nous ne cessions de penser au fait que nous faisons cela aussi pour aider le Liban, raconte Yasmine. Alors, pourquoi imprimerions-nous le livre ailleurs et n’aiderions-nous pas les véritables artisans du Liban, qui ont été touchés par la crise économique et par tout ce qui s’est passé?»
Julie et Yasmine sont toutes deux nées aux États-Unis mais se sentent très attachées au Liban. Elles se sont rendues à Beyrouth après l’explosion et cette expérience a renforcé leur conviction de la nécessité de conserver les traditions architecturales de la ville.
«C’est ce cycle, qui fait que chaque génération doit traverser les mêmes épreuves – ce qui est un peu triste quand on vient du Liban», estime Julie. «Il y a tellement de problèmes aujourd’hui, mais il est vraiment important de préserver notre patrimoine.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com