PARIS: L’attachement du président Emmanuel Macron aux liens de la France avec l’Arabie saoudite et les autres partenaires du Golfe, s’exprime, à cinq mois de la fin de son mandat, par une tournée qui le conduit, dès ce vendredi, successivement à Abu Dhabi, Doha et Riyad. Les enjeux de sécurité, les liens bilatéraux et les crises régionales seront à n’en point douter à l’ordre du jour du périple présidentiel. Dans une région hautement stratégique, la France compte consolider sa place et se montrer crédible. En somme, être une puissance active sur laquelle peuvent compter les pays du Golfe.
Malgré les contraintes imposées par la pandémie et diverses tergiversations, Emmanuel Macron a tenu à effectuer cette tournée, en particulier en Arabie saoudite (soulignons que les anciens présidents François Mitterrand et Jacques Chirac ont choisi Riyad comme première capitale du Moyen-Orient à visiter), pour plusieurs raisons: l’importance d’enjeux stratégiques vitaux pour la France et la nécessité de mener des échanges sur le contexte régional bouillonnant, du nucléaire iranien à la crise libanaise.
La position médiane de la France observée à la loupe
Le voyage d’Emmanuel Macron intervient dans le contexte de la relance, le 29 novembre, d’un nouveau cycle de pourparlers sur la question nucléaire iranienne à Vienne. Dossier dans lequel l’Élysée, à l’initiative du président français, s’est beaucoup investi. Il devrait rassurer ses interlocuteurs sur la position de l’Hexagone, qui, à l’instar des États-Unis et de l’Union européenne, souhaite stopper toute velléité de fabrication de la bombe atomique par l’Iran. Après la décision de Trump de se retirer unilatéralement de l’accord de 2015, la France s’est retrouvée coincée entre le marteau américain et l’enclume iranienne. Des sociétés comme Total et Peugeot, qui étaient leaders dans leur domaine en Iran, ont dû quitter le pays par peur d’être sanctionnées par le Trésor américain.
Macron aura l’occasion de confirmer que la France demeure engagée dans le monde post-Afghanistan et particulièrement dans cette zone où elle est liée par des accords de défense avec les Émirats et le Qatar, et apporte un soutien opérationnel à l’armée saoudienne.
Sur l’autre rive, la démarche française pour sauver coûte que coûte l’accord sur le nucléaire est observée à la loupe, car Riyad et ses sœurs craignent à juste titre que ni la sécurité régionale ni les intérêts du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne soient assurés en cas de deal qui ne traiterait pas de la question des «missiles balistiques et drones iraniens» et de l’expansionnisme de la République islamique. Alors que Téhéran cherche à gagner du temps pour accroître son stock de matières fissiles et devenir un «pays seuil» du nucléaire, au même titre que le Japon par exemple, le président français compte réitérer la position ferme de Paris.
De surcroît, Macron aura l’occasion de confirmer que la France demeure engagée dans le monde post-Afghanistan et particulièrement dans cette zone où elle est liée par des accords de défense avec les Émirats et le Qatar, et apporte un soutien opérationnel à l’armée saoudienne. La France, qui défend la sécurité régionale, entend aussi garantir ses approvisionnements pétroliers et la liberté de navigation. Mais la tournée du président ne va pas se concentrer seulement sur les questions de défense et d’énergie.
Les multiples dossiers de l’étape saoudienne
Des sources diplomatiques françaises précisent que lors de sa visite à Riyad, le président Macron devrait notamment rencontrer le roi Salmane ainsi que le prince héritier, Mohammed ben Salmane, et nombre de hauts responsables, dont les ministres de l'Énergie et des Affaires étrangères. Cette visite préparée soigneusement par les équipes diplomatiques respectives est forte en attentes des deux côtés.
Sur le plan bilatéral, les relations multidimensionnelles se développent. L’offre française se distingue notamment dans les secteurs de l'énergie, de la santé, de l'industrie aéronautique, des nouvelles technologies et de la culture. Près de 120 firmes françaises sont installées en Arabie saoudite. La visite présidentielle sera l’occasion de consolider et d’améliorer la présence française.
Sur le plan régional, outre la question de la sécurité et le dossier nucléaire iranien, les deux parties discuteront de l’Irak, du Yémen et du Liban. Concernant l’Irak, Macron a marqué un point en coprésidant une conférence régionale à Bagdad en août dernier. Un rôle qui souligne le degré de l’engagement français dans une région sensible, marquée aujourd’hui par le retrait partiel américain, l’irruption de la Russie et l’intérêt croissant de la Chine. Riyad apprécie cet intérêt français pour un Irak indépendant et reconstruit. Les deux parties soutiennent le Premier ministre Moustapha al-Kazimi dans sa rude mission.
Le pays du Cèdre ne sera pas absent de l’ordre du jour, car Emmanuel Macron, qui constate «l’impasse libanaise» malgré ses efforts sans relâche depuis quatorze mois, va plaider pour une reprise des liens entre Riyad et Beyrouth.
Sur le Yémen, la France a soutenu à plusieurs reprises – et encore récemment, lors de la dernière visite de Jean-Yves Le Drian dans le Royaume – l’initiative de l'Arabie saoudite pour mettre fin à la crise dans le pays et la résoudre pacifiquement. La France a dénoncé à plusieurs reprises les attaques des Houthis. Mais une source indépendante à Riyad observe que «Paris et Bruxelles qui mettent tout en œuvre pour sauver l'accord nucléaire avec l'Iran, devraient aussi exercer des pressions sur Téhéran pour qu'il ne s'ingère pas dans les affaires yéménites et cesse de nuire à la sécurité régionale en soutenant les Houthis».
Le pays du Cèdre ne sera pas absent de l’ordre du jour, car Emmanuel Macron, qui constate «l’impasse libanaise» malgré ses efforts sans relâche depuis quatorze mois, va plaider pour une reprise des liens entre Riyad et Beyrouth (envenimés récemment par une crise diplomatique majeure). Plusieurs pays arabes, et à leur tête l’Arabie saoudite, estiment que le Liban est pratiquement sous la coupe du Hezbollah, qui accentue la crise économique-financière du Liban, tout en jouant un rôle néfaste comme bras armé de l’Iran au Moyen-Orient.
Depuis septembre 2020 et le lancement de l’initiative de Macron au Liban, Riyad a mis ses interlocuteurs en garde contre tout pari sur un rôle positif du Hezbollah et de son parrain iranien. Au fil des mois, on constate que cette lecture est réaliste et le repli saoudien justifié. Les diplomates français chargés du dossier commencent à admettre que le Hezbollah joue l’obstruction et que l’idée d’un «arrangement franco-iranien au Liban» n’est pas exact. Malgré ce constat tardif, Macron estime qu’il faut éviter à tout prix la chute finale du Liban.
À en croire une source diplomatique française, Paris est convaincu que «le Liban a besoin de sa profondeur arabe et que sa survie dépend surtout d’une couverture arabe». Cette même source a laissé entendre que la rencontre entre Macron et Mohammed ben Salmane serait «cruciale et productive» à plusieurs niveaux et sur diverses questions régionales. Cette tentative de Macron à Riyad représente l’une de ses dernières cartes en faveur du Liban avant qu’il ne se consacre à sa campagne présidentielle.