LILLE: Ils avaient la vingtaine et chérissaient un rêve commun : celui d'une "vie meilleure" au Royaume Uni. Les témoignages de leurs proches esquissent les derniers jours et les aspirations de migrants afghans, probablement au nombre des vingt-sept victimes du naufrage dans la Manche.
Quelques jours avant le drame du 24 novembre qui a suscité une onde de choc européenne, Hussein, un Afghan de 24 ans, venait d'arriver à Dunkerque, dans le nord de la France, chez son cousin Amanullah Omakhil, 18 ans.
Les jeunes hommes sont très proches depuis qu'ils ont pris la route de l'exil ensemble en 2016, après une enfance dans leur village de Nangarhar, à la frontière pakistanaise.
Par la suite, Hussein vit quelques temps en Grande-Bretagne, avant de rentrer au pays, puis de revenir très récemment en France en aspirant à repasser clandestinement côté anglais.
"Il est venu directement chez moi, il a dormi, puis je lui ai montré le bus et il est parti dans la jungle" sur le littoral, explique Amanullah Omakhil, yeux humides à la sortie de l'institut médico-légal de Lille, où il est venu ce mercredi dans l'espoir d'identifier le corps de son cousin.
Il n'a pas essayé de le retenir. "C'était son choix. Il était mon aîné, je ne pouvais pas lui dire fais pas ci, fais pas ça", raconte-t-il en français.
Téléphones éteints
Après trois jours à essayer de se faufiler dans un camion, Hussein finit par lui dire qu'il tentera sa chance le 23 novembre par bateau. Le 24 à la mi-journée, les cadavres de 27 migrants sont repêchés.
Les familles afghanes, accueillies à l'institut médico-légal, n'ont pas encore pu voir les frères ou cousins dont ils redoutent le décès.
Si le parquet de Paris a appelé le jour-même à transmettre aux enquêteurs "toute information susceptible d'aider à l'identification" des victimes, les proches vont d'abord devoir déposer leurs empreintes génétiques auprès de la gendarmerie spécialisée pour avoir accès aux corps, explique Jan Kakar, un responsable associatif afghan qui fait le lien, sur place.
Mais pour Amanullah, pas de doute: "J'étais en contact avec lui jusqu'au départ. Il m'avait dit qu'il m'appellerait quand il arriverait de l'autre côté".
En Grande-Bretagne, Hussein aspirait à une "belle vie". Lui qui "aime les balades et voir des paysages", comme sur cette photo qu'Amanullah a envoyée aux gendarmes et sur laquelle on voit son cousin poser en Italie avec, dans son dos, une plaine verdoyante.
Hassan Isakhil aussi est sans nouvelles de son "cousin et meilleur ami", dont il tait le nom.
Lui aussi venait pour en avoir le cœur net, alors qu'il n'a plus de nouvelles depuis le 24 novembre, quand le téléphone de son cousin s'est éteint après lui avoir dit qu'il tentait la traversée.
Mode avion
Cela ne faisait qu'un mois qu'il était en France, après un périple d'un an depuis son départ de leur village natal.
Le jeune homme de 22 ou 23 ans s'était persuadé que l'herbe était plus verte côté britannique, où la législation lui permettrait de travailler plus facilement.
Un autre Afghan de 27 ans, lui, avait d'autres motivations: "Sa famille est en Angleterre, sa tante, son oncle, son frère", raconte Safiyullah Azizi, venu de Londres pour l'identifier.
Il fait office de porte-parole pour la famille, depuis que le frère de la victime présumée, tête enfoncée sous un bonnet noir, s'est réfugié dans le mutisme.
"On ne sait toujours pas s'il est mort ou s'il est vivant. On est venu pour avoir des réponses et on stresse encore plus", déplore-t-il.
La dernière fois que les frères se sont parlé, c'était le 23 au soir, moment où les témoins s'accordent à situer le départ du bateau qui a fait naufrage dans des circonstances encore inexpliquées.
"Il disait ce soir je vais franchir la frontière, je vous tiens au courant", poursuit Safiyullah Azizi.
Sous le poids du stress, croulant sous les appels des amis et de la famille venant aux nouvelles, le frère avait alors "mis son téléphone en mode avion pendant la traversée".
Lorsqu'il le réactive, il se rend compte que son frère "a tenté de le joindre plusieurs fois". Depuis, plus rien.