ATHENES: Alors que s'enchaînent les déclarations tendant des pays quant à l'utilisation des réserves stratégiques de pétrole, les marchés tardent à réagir. Premier pays à prendre cette décision inédite, les Etats-Unis l'ont annoncé mardi à qui veut bien l'entendre. La Maison Blanche espère, par ces mesures exceptionnelles, apaiser la tension sur les prix de l'essence, alors que le prix du gallon (3,78 litres) a grimpé de 60% en un an aux Etats-Unis, pour atteindre 3,41 dollars, selon l'Association automobile AAA.
Puiser dans les réserves est une "initiative majeure" qui va "faire la différence", a assuré le président Joe Biden.
"Les prix de l'essence à la pompe sont trop hauts à l'heure actuelle (...) mais on va tourner la page au début de 2022", a promis sa secrétaire à l'Energie, Jennifer Granholm, à la Maison Blanche.
La rumeur courrait depuis plusieurs semaines, et a été confirmée mardi: les Etats-Unis vont relâcher dans les mois qui viennent 50 millions de barils de brut, puisés dans leurs réserves stratégiques, pour faire pression sur les prix à la pompe.
Chine, Inde, Japon, Corée du Sud et Royaume-Uni emboîtent le pas à Washington
Initiative inédite, d'autres pays consommateurs vont rejoindre les Etats-Unis en déversant aussi du pétrole sur le marché: Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Royaume-Uni.
L'Inde s'est engagée à participer à hauteur de 5 millions de barils. L'apport des autres nations, en revanche, est encore flou.
De son côté, la Chine a confirmé mercredi qu'elle allait puiser dans ses réserves de pétrole, en collaboration avec d'autres pays, afin de faire baisser les cours de l'or noir.
"La Chine, au regard de ses besoins et de ses conditions actuelles, puisera dans ses réserves nationales de pétrole brut et prendra d'autres mesures nécessaires afin de maintenir la stabilité du marché", a déclaré devant la presse un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian.
M. Zhao n'a pas précisé quand ces prélèvements auraient lieu ni quelle quantité de pétrole Pékin envisageait de mettre sur le marché.
Interrogé, le porte-parole de la diplomatie chinoise n'a pas cité les Etats-Unis ni d'autres pays participants.
Il s'est borné à déclarer avoir pris note des "récentes mesures prises par d'importants pays consommateurs pour maintenir la stabilité du marché".
"La Chine est en communication étroite avec les différentes parties prenantes, y compris les consommateurs et les producteurs de pétrole", a-t-il dit.
Malgré les appels du pied répétés de la Maison Blanche aux pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) pour qu'ils augmentent leur production --ce qui ferait baisser les cours--, ceux-ci s'en tiennent à leur programme de restauration prudente et progressive.
"Si les prix du brut ont augmenté, c'est parce que les pays producteurs ont été chiches sur leur production", reproche John Kilduff d'Again Capital.
Pour l'analyste du marché pétrolier de Rystad energy, Bjornar Tonhaugen, l'initiative pourrait être vue "comme un geste agressif vis-à-vis de l'Opep+".
"Le groupe des pays producteurs pourrait alors en théorie couper dans sa production en janvier pour maintenir ses profits", a-t-il suggéré.
Paradoxalement, les cours du brut sont repartis en forte hausse mardi, après l'annonce de cette initiative coordonnée qui va augmenter l'offre de pétrole.
Les rumeurs sur une telle action avaient déjà fait perdre 5 dollars au prix du baril, depuis son pic de fin octobre pour le Brent.
Le prix du baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en janvier a bondi de 3,27% à 82,31 dollars.
À New York, le baril de West Texas Intermediate (WTI) pour le même mois a engrangé 2,22% à 78,50 dollars.
Puiser dans les réserves stratégiques de pétrole, une mesure rare mais temporaire
Les réserves stratégiques américaines de pétrole ont été créées en 1975 pour contrecarrer les chocs pétroliers. Enfouies dans d'immenses cavernes de sel allant jusqu'à 800 mètres de profondeur le long de la côte du Golfe du Mexique, ces réserves peuvent emmagasiner jusqu'à 714 millions de barils d'or noir.
Ces réserves hautement surveillées, qui représentent la plus grande manne d'urgence de brut au monde, sont conservées dans une soixantaine de réservoirs forés dans une strate de sel répartis sur quatre sites, en Louisiane et au Texas.
Actuellement, le niveau des stocks se situe à 609 millions de barils, selon le département américain de l'Energie.
"La consommation de brut des Américains s'élevant à 19,5 millions de barils par jour, la mise sur le marché de 50 millions de barils correspond à trois jours de demande des raffineries du pays", a indiqué Andy Lipow de Lipow Oil Associates, soulignant l'aspect symbolique de la mesure.
"L'impact sur les prix ne devrait pas persister", doutaient aussi les analystes de TD Commodities.
Les précédents: guerres du Golfe et ouragans
En 1991, George H. W Bush avait ordonné le tirage de quelque 17 millions de barils pendant la première guerre du Golfe.
En 2005, c'est George W. Bush fils qui avait fait prélever dans ces réserves 11 millions de barils après le passage de l'ouragan Katrina qui avait dévasté la Louisiane et ses structures pétrolières.
En 2011, Barack Obama avait libéré pour 30 millions de barils afin de suppléer aux interruptions de livraison de Libye.
A l'inverse, en 2001, juste après les attentats du 11-Septembre, le président Bush avait ordonné par précaution un remplissage des cuves à ras bord.