NEW DELHI : L'Inde va abroger trois lois de la réforme agricole après un an de manifestations massives d'agriculteurs en colère, a annoncé vendredi le Premier ministre Narendra Modi dans une surprenante volte-face.
"Nous avons décidé d'abroger les trois lois agricoles. Nous allons entamer le processus constitutionnel d'abrogation de ces trois lois lors de la session parlementaire qui débute à la fin du mois", a déclaré M. Modi dans une adresse à la nation.
"J'appelle tous les agriculteurs participant aux manifestations à rentrer chez eux, à retrouver leurs proches, leurs fermes et leur famille, en ce jour propice de Guru Purab", date anniversaire de la naissance de Guru Nanak, fondateur du sikhisme, a poursuivi le Premier ministre indien. De nombreux agriculteurs protestataires appartiennent à cette religion minoritaire.
"Prenons un nouveau départ et allons de l'avant", a-t-il ajouté.
Le poids du secteur agricole est considérable en Inde, assurant la subsistance de près de 70% de ses 1,3 milliard d'habitants, et contribuant à environ 15% du PIB.
"Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour les agriculteurs. Ce que je fais, je le fais pour le pays", a affirmé le chef du gouvernement, âgé de 71 ans. "Je veux vous assurer aujourd'hui de travailler plus dur afin que vos rêves puissent être réalisés, que les rêves du pays puissent être réalisés", a-t-il promis.
«Lois mortes nées»
Le revirement inattendu de M. Modi survient avant d'importantes élections dans plusieurs États, notamment au Pendjab - d'où proviennent de nombreux agriculteurs - et l'Uttar Pradesh, le plus peuplé de l'Inde avec 220 millions d'habitants.
Selon Hartosh Singh Bal, rédacteur politique du magazine Caravan, les réformes n'avaient de toute façon aucun avenir. "Les lois agricoles étaient mortes nées et c'était encore une question d'ego de la part de Modi de s'opposer à ce que le gouvernement les abroge", a estimé l'expert auprès de l'AFP.
En revanche, pour Gautam Chikermane, vice-président du groupe de réflexion Observer Research Foundation, "c'est la pire décision de Modi".
"C'est un jour noir dans l'histoire des réformes économiques de l'Inde", a-t-il déclaré à l'AFP, arguant que le secteur agricole est "condamné à son sort" pour les 25 prochaines années".
Amarinder Singh, ancien ministre en chef du parti d'opposition Congrès de l'État du Pendjab a aussitôt salué l'annonce de Modi la qualifiant d'"excellente nouvelle".
"Je suis sûr que le gouvernement central continuera à travailler en concertation pour le développement de Kisani (agriculture)", a-t-il réagi sur Twitter.
«Pas confiance»
Mais dans les campements d'agriculteurs à la frontière de Delhi et de l'Haryana, si l'on se réjouit à l'idée de rentrer bientôt chez soi, la méfiance reste pourtant de mise.
"Nous ne lui faisons pas confiance. Tant qu'il ne l'aura pas transposé par écrit, nous ne partirons pas", a déclaré à l'AFP Mohan Singh, un fermier du Pendjab de 52 ans, qui campe là depuis le mois de mai. "S'il tient parole, nous serons heureux", a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, Samyukt Kisan Morcha, coalition des syndicats agricoles, a salué l'annonce, ajoutant toutefois "attendre (qu'elle) prenne effet par le biais des procédures parlementaires adéquates".
La coalition y rappelle aussi qu'elle exige toujours "une garantie statutaire de rémunérations rentables pour tous les produits agricoles et pour tous les agriculteurs".
Les réformes agricoles avaient été votées en septembre 2020 pour autoriser les agriculteurs à vendre leurs productions aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les marchés contrôlés par l'État leur assurant un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées.
Nombre de petits exploitants agricoles s'y opposent depuis novembre 2020 dans des manifestations de masse, s'estimant menacés par cette libéralisation qui, selon eux, risquait de les obliger à brader leurs marchandises aux grandes entreprises pour les écouler.
Depuis, les agriculteurs campent sur les routes aux portes de New Delhi, où un réseau de solidarité s'est mis en place. Chaque jour, des tracteurs leur livrent des carrioles de bois et de vivres.
Ce mouvement agricole constitue l'un des plus grands défis auxquels le pays a dû faire face depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014.
Les manifestations ont pris un tour particulièrement violent en janvier au cours d'un rassemblement d'agriculteurs venus avec leurs tracteurs à New Delhi le jour de la fête nationale célébrant la République Indienne.
La contestation a alors viré en affrontements avec les forces de l'ordre durant lesquels un agriculteur a perdu la vie et des centaines de policiers ont été blessés.
Le mois dernier, dans l'État d'Uttar Pradesh, huit personnes sont mortes, dont quatre agriculteurs dans des heurts survenus au cours d'une visite du ministre des Affaires intérieures, Ajay Mishra.
Ces derniers mois, si les sites de la contestation paysanne se sont clairsemés, un contingent de militants déterminés est resté en place et des manifestations importantes étaient attendues ce mois-ci pour marquer le premier anniversaire de leur bras de fer avec le gouvernement.