PARIS: "Dépasser dénis et tabous": l'Assemblée nationale a donné jeudi un premier feu vert au projet de loi pour demander "pardon" et tenter de "réparer" les préjudices subis par les harkis et leurs familles, avec une indemnisation que l'opposition espérait plus large.
Le texte, voté en première lecture par 46 voix contre 1 et 6 abstentions, est maintenant attendu au Sénat. Près de soixante ans après la Guerre d'Algérie, il se veut la traduction législative d'un discours d'Emmanuel Macron, qui, le 20 septembre, avait demandé "pardon" à ces Algériens ayant combattu aux côtés de l'armée française, mais qui furent "abandonnés" par la France.
- "Des zones grises" -
Le projet de loi allie dimension mémorielle et indemnisation. Il reconnaît "les conditions indignes de l'accueil" réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l'Algérie après l'indépendance.
Près de la moitié d'entre eux ont été relégués dans des camps et des "hameaux de forestage".
En conséquence, le projet de loi prévoit "réparation" du préjudice avec, à la clef, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures.
C'est sur ce volet que se sont concentrés les débats. L'opposition a réclamé une indemnisation pour les 90 000 harkis "y compris ceux qui ne sont pas passés par des camps de transit" mais ont été accueillis dans des "conditions indignes".
Des familles de harkis étaient présentes en tribunes et des associations réclamaient devant l'Assemblée une réparation élargie.
Geneviève Darrieussecq, la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants, a insisté sur le "préjudice spécifique" des 50.000 harkis relégués dans "six camps", "soixante-neuf hameaux de forestage" et "quelques autres foyers" de "privation de liberté", une "chose unique, particulièrement contraire à nos principes républicains".
Il y a des "zones grises, même 60 ans après", reconnaît-elle toutefois. Si des lieux supplémentaires sont identifiés, "bien entendu nous les intégrerons".
D'ores et déjà, cinquante millions d'euros ont été inscrits dans le projet de budget 2022 pour abonder le fonds d'indemnisation. La somme globale de 302 millions d'euros, pour plusieurs années, est mentionnée.
Mais la réparation "ne peut pas tout, elle n'efface pas les souvenirs douloureux", a souligné Geneviève Darrieussecq, qui appelle à être au "rendez-vous de la vérité et de l'honneur" pour tourner une des "pages les plus sombres de l'Histoire de France".
Plusieurs députés, dont certains sont des descendants de rapatriés d'Algérie, ont laissé percer leur émotion telle la rapporteure LREM Patricia Mirallès. Une gravité palpable aussi chez David Habib (PS, Pyrénées-Atlantiques) ou Alexis Corbière (LFI, Seine-Saint-Denis) dont les circonscriptions comptent de nombreux descendants de harkis.
- "La guerre est finie" -
"La guerre est finie et malheur à ceux qui réactivent sans cesse les termes du conflit", a déclaré M. Corbière, visant implicitement le polémiste d'extrême droite et candidat putatif à la présidentielle Eric Zemmour.
"Ces hommes qui n'avaient pas de prénom français et étaient de religion musulmane ont mieux défendu la France que certains traîtres à la Nation", a aussi souligné Julien Aubert (LR) dans une allusion sibylline à des déclarations de M. Zemmour.
Le député du Vaucluse a au passage dénoncé la reconnaissance en 2018 par Emmanuel Macron de la responsabilité de l'Etat dans la disparition et la mort sous la torture du mathématicien Maurice Audin, en 1957. Un militant de l'indépendance algérienne que M. Aubert a présenté, sous les protestations de la gauche, comme un "traître" à la patrie.
Mme Darrieussecq a aussitôt appelé à ne pas remettre "une pièce dans la machine de confrontation des mémoires".
Avec ce projet de loi, le président Macron va plus loin que ses prédécesseurs, en reconnaissant une "dette" envers les harkis et leurs familles. Demander "pardon" est loin d'être anodin lorsqu'il est question du conflit algérien, un sujet toujours aussi brûlant des deux côtés de la Méditerranée comme l'ont rappelé les récentes tensions entre Paris et Alger.
Jusqu'à 200 000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962.
Une journée d'hommage de la nation leur est consacrée chaque 25 septembre, depuis un décret de 2003. Symboliquement, les députés ont voté jeudi pour que cette date du 25 septembre soit explicitement "inscrite dans la loi".