VARSOVIE: Emporté par le tourbillon politique autour d'une élection présidentielle contestée, le puissant secteur des technologies de l'information (IT) bélarusse tourne ses yeux vers les pays voisins qui, eux, le verrait volontiers délocaliser chez eux.
Malgré une économie très contrôlée par l'Etat et dépendante de la Russie, avec un lourd héritage soviétique et centrée sur l'agriculture et l'industrie lourde, le Bélarus a signé nombre de succès mondiaux dans l'univers des technologies numériques comme le très populaire jeu World of Tanks ou, en coopération avec des Israéliens, la messagerie chiffrée Viber.
Depuis la présidentielle du 9 août, de nombreux employés de l'IT bélarusse ont rejoint les manifestations, des milliers ayant signé une lettre ouverte appelant à une nouvelle élection et à la fin de la répression parrainée par le président autoritaire Alexandre Loukachenko, en poste depuis 26 ans.
« Tel un port assurant la sécurité au business, nous sommes prêts à faire partager notre succès avec nos amis bélarusses », a déclaré Renata Zukowska, une porte-parole de l'Agence polonaise des investissements et du commerce (PAIH).
La PAIH supervise un programme officiel appelé « Poland. Business Harbour » offrant un soutien juridique et logistique aux sociétés et spécialistes de l'IT bélarusses désireux de s'installer en Pologne.
« Il y a un très grand intérêt pour ce programme », assure Zukowska en évoquant une cinquantaine d'appels quotidiens du côté bélarusse.
L'Agence polonaise indique travailler sur « la délocalisation d'une partie ou de l'ensemble de dix établissements importants et de dizaines de sociétés plus petites », sans dévoiler leurs enseignes.
Silicon Valley bélarusse
Basé sur une culture scientifique héritée de l'URSS et poussé par des avantages fiscaux, le secteur IT bélarusse emploie actuellement quelque 60.000 personnes et représente environ 5% du PIB bélarusse, selon les estimations.
En 2005, Minsk a créé un Parc des Hautes Technologies, surnommé la Silicon Valley bélarusse, une zone d'activité où les entreprises du secteur sont exemptées de taxes et, généralement, à l'abri des problèmes habituels que rencontrent les sociétés dans l'ex-URSS tels que les démêlés judiciaires indus, pressions ou corruption.
L'idylle a été rompue depuis la réélection contestée du président Loukachenko. Des représentants du secteur ont soutenu l'opposition, s'exposant à la répression des autorités.
Mikita Mikado, fondateur de la société de logiciels PandaDoc a proposé d'aider financièrement les membres des forces de sécurité qui souhaitent quitter leurs rangs. Depuis, sa société fut perquisitionnée et des dirigeants arrêtés pour « détournement de fonds ».
Le géant russe de l'internet Yandex, dont les locaux à Minsk ont été investis brièvement par des hommes masqués en août, a décidé d'évacuer ses employés.
Aussi, des représentants du secteur ont-ils menacé à plusieurs reprises de délocaliser leurs activités.
D'autres aspirations
« Au milieu des tensions, pressions et violences, il n'est pas possible de se concentrer sur le bon travail », estime Lukasz Czajkowski, responsable de l'Association polonaise des producteurs de logiciels SODA.
« Ces gens veulent du changement. Ils ont des contacts avec le monde, travaillent pour des clients occidentaux donc ils voyagent, ils gagnent mieux leur vie que la plupart des Bélarusses, ils ont d'autres aspirations », indique-t-il.
Jouissant d'une bonne réputation, ils sont volontiers accueillis dans d'autres pays. Dans un premier temps, il s'agissait de l'Ukraine, la Lituanie et le Kazakhstan.
« Il semble normal qu'on leur tende la main, d'autant plus que tout le monde y est gagnant », souligne Czajkowski.
Selon des estimations de la Commission européenne, en 2019 la Pologne avait besoin de 50.000 employés de l'IT.
Pays baltes
Tout comme la Pologne, les pays baltes, qui ont fait partie de l'URSS mais sont redevenus indépendants et ont rejoint l'UE, ont prévu des mesures d'accueil pour des Bélarusses et particulièrement pour le secteur IT.
Kaspars Rozkalns, directeur de l'Agence lettonne d'investissements et de développement (LIAA), vient d'évoquer « 29 sociétés (bélarusses) qui envisagent sérieusement la délocalisation alors que 12 autres l'ont déjà décidée ».
La Lituanie signale des pourparlers avec plus de 60 sociétés bélarusses, principalement du secteur IT.
La présidente estonienne Kersti Kaljulaid a reçu cette semaine Valéri Tsepkalo, le père du hub IT bélarusse.
Cet ancien proche du régime, que le pouvoir a empêché de se présenter à la présidentielle du 9 août, a récemment trouvé refuge en Pologne.