WASHINGTON : Le président américain Donald Trump a annoncé lundi qu'il désignerait en fin de semaine une nouvelle juge pour la Cour suprême afin de succéder à Ruth Bader Ginsburg et a martelé que le vote au Sénat devrait se tenir avant l'élection présidentielle, attisant une féroce bataille politique qui accapare déjà la campagne.
Balayant les cris d'indignation des démocrates, le président a estimé que le Sénat, à majorité républicaine, avait « largement le temps » de confirmer la nomination d'une nouvelle magistrate avant le scrutin du 3 novembre qui l'opposera à Joe Biden.
« Je préférerais de loin qu'il y ait un vote avant l'élection », a-t-il souligné devant des journalistes.
En s'envolant pour l'Ohio, il a réaffirmé qu'il prendrait sa « décision samedi, peut-être vendredi ». Ce qui sonnera le coup de départ du processus de confirmation pour remplacer la juge, icône féministe et de la gauche américaine, décédée vendredi dernier à 87 ans des suites d'un cancer.
Electrochoc dans cette campagne déjà bouleversée par plusieurs événements historiques, la succession de « RBG » au sein du temple du droit américain sera l'un des sujets majeurs de la présidentielle.
L'enjeu est simple: solidement ancrer, ou non, la Cour suprême dans le camp conservateur pour des décennies. Une institution qui tranche, aux Etats-Unis, les principales questions de société, comme l'avortement, le droit de porter des armes ou les droits des homosexuels.
L'enjeu que représente la Cour suprême a également pour effet de galvaniser les électeurs des deux camps.
Joe Biden, qui mène dans les sondages, avait placé jusqu'ici au coeur de sa campagne la gestion par Donald Trump de la pandémie de Covid-19 et les quelque 200.000 morts aux Etats-Unis.
Le décès de la magistrate a soudainement rebattu les cartes.
La dépouille de Ruth Bader Ginsburg sera exposée à la Cour suprême mercredi et jeudi, puis au Capitole vendredi. Elle sera inhumée dans l'intimité la semaine prochaine au cimetière national d'Arlington, près de Washington.
Apportant bougies et fleurs en hommage à la magistrate, des milliers de personnes émues se sont pressées ce week-end devant la Cour suprême, à Washington.
Que peuvent faire les démocrates?
Joe Biden a dénoncé dimanche « un exercice de pouvoir politique brutal » de son rival, « un abus de pouvoir » s'il poussait réellement son remplacement avant l'élection.
Les démocrates martèlent que Ruth Bader Ginsburg a laissé comme dernière volonté de ne pas être remplacée jusqu'à ce qu'un « nouveau président soit en fonction », selon la radio publique NPR.
Donald Trump a balayé ces objections lundi: « C'est sorti de nulle part ». « Au final, nous avons gagné l'élection. Nous avons une obligation ».
Les démocrates sont vent debout contre ce calendrier, rappelant qu'en 2016, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, avait bloqué, à dix mois de la présidentielle, le processus pour remplacer le juge conservateur Antonin Scalia.
Le républicain arguait alors qu'il fallait laisser les électeurs choisir en soulignant qu'à l'époque, le Sénat et la Maison Blanche n'étaient pas aux mains du même parti.
Les démocrates exigent d'attendre, avant tout vote, non seulement l'issue du scrutin mais, en cas de victoire de leur candidat à la Maison Blanche Joe Biden, sa prise de fonctions en janvier.
Mais de fait, les démocrates disposent de peu de recours pour empêcher cette confirmation.
« Nous avons des cordes à notre arc », a déclaré dimanche la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, mais sans préciser quelles « options » elle envisageait.
Elle était interrogée sur la possibilité que son camp lance une nouvelle procédure de destitution contre Donald Trump ou son ministre de la Justice, William Barr pour empêcher la confirmation avant le scrutin.
La puissante démocrate a en revanche écarté une autre lourde menace: provoquer la paralysie du gouvernement, surnommée « shutdown », en refusant tout accord budgétaire avec les républicains avant la fin du calendrier budgétaire le 30 septembre. Une issue « catastrophique » en pleine pandémie, a-t-elle martelé lundi.
Reste alors aux démocrates de menacer sur ce qu'ils feront en cas de victoire à la présidentielle et au Sénat, dont ils pourraient reprendre la majorité après le 3 novembre.
Plusieurs grands noms du parti démocrate ont promis qu'ils réformeraient la Cour suprême afin d'augmenter le nombre de juges jusqu'à 15 magistrats, dont cinq choisis à l'unanimité par les dix autres. De quoi, affirment-t-ils, « dépolitiser » le temple du droit américain.
Calendrier et procédure
Neuf juges siègent à la Cour suprême des Etats-Unis.
Le président nomme les candidats mais c'est ensuite au Sénat de voter pour confirmer leur nomination.
La commission judiciaire, présidée par un grand allié du président, Lindsey Graham, entrera alors en scène. Après un travail préparatoire, ses 22 membres interrogeront la candidate lors d'une audition publique.
Parmi eux siège la candidate démocrate à la vice-présidence des Etats-Unis, Kamala Harris. L'ex-procureure est célèbre pour ses interrogatoires serrés.
Si une majorité des membres de la commission approuve la candidate, le dossier passe devant le Sénat. Il faut une majorité simple de 51 voix pour confirmer définitivement cette nomination à vie à la Cour.
Les républicains disposent actuellement d'une majorité de 53 sièges contre 47. Deux sénatrices républicaines modérées ont estimé que le Sénat ne devrait pas se prononcer avant la présidentielle.
Tous les regards se tournent donc vers un autre républicain grand critique de Donald Trump, Mitt Romney, qui ne s'est pas encore prononcé.
Mais même sans eux, les républicains disposeraient d'assez de voix, grâce à l'intervention du vice-président Mike Pence qui peut départager en cas d'égalité, pour confirmer la remplaçante de « RBG ».
Selon un rapport du Congrès datant de l'été 2018, il fallait compter en moyenne près de 70 jours entre une nomination et un vote final au Sénat.
Il reste 43 jours avant la présidentielle américaine.
Quelles sont les favorites?
Deux femmes figuraient lundi en tête de la liste du président:
Amy Coney Barrett, une catholique de 48 ans. Cette universitaire, louée pour ses argumentaires ciselés, a une expérience limitée des tribunaux: elle ne siège comme juge fédérale que depuis 2017, après avoir été nommée par Donald Trump.
Et Barbara Lagoa, une magistrate d'origine cubaine née en Floride, âgée de 52 ans.
Cette dernière est « excellente, elle est Hispanique, c'est une femme formidable », a-t-il déclaré. « Nous aimons la Floride », a-t-il ajouté à propos de cet Etat qui devrait jouer un rôle clé dans le résultat de la présidentielle.