WASHINGTON : Selon un haut responsable américain, les États-Unis vont sanctionner lundi plus d’une vingtaine de personnes et d’entités impliquées dans les programmes de l’Iran portant sur le nucléaire, sur les missiles et sur les armes conventionnelles. Malgré l’opposition de ses alliés comme de ses adversaires, Washington a repris ses mesures contre Téhéran, donnant ainsi plus de poids aux sanctions de l’ONU.
Sous couvert d’anonymat, le responsable américain a déclaré que l’Iran pourrait disposer de matière fissile suffisante pour construire une arme nucléaire d’ici à la fin de l’année. Selon lui, Téhéran a repris la coopération en matière de missiles à longue portée avec la Corée du Nord qui est elle-même dotée de l’arme nucléaire. Cependant, il n’a pas fourni de preuves précises concernant ces deux affirmations.
En outre, les nouvelles sanctions s’inscrivent dans le cadre des efforts du président américain, Donald Trump, dont l’objectif est de limiter l’influence régionale de l’Iran. Ces sanctions surviennent une semaine après les accords conclus sous l’égide des États-Unis pour normaliser les liens des Émirats arabes unis et du Bahreïn avec Israël ; des accords qui pourraient engendrer une coalition plus large contre l’Iran tout envoyant un signal aux électeurs américains pro-Israël, à la veille de l’élection présidentielle du 3 novembre.
Dans ce contexte, ces nouvelles sanctions ont également mis en garde les alliés européens, la Chine et la Russie. Bien qu’ils soient enclins à ignorer la volonté des États-Unis de maintenir les sanctions de l’ONU contre l’Iran, les entreprises basées dans leurs pays respectifs sentent la menace sous-jacente d’être pénalisées.
Un décret, qui sera dévoilé lundi par l’administration Trump et dont Reuters avait déjà évoqué la préparation, constitue la marque la plus évidente de la volonté américaine: il cible ceux qui achètent ou vendent des armes conventionnelles à l’Iran.
L’administration Trump soupçonne l’Iran de chercher à se doter d’armes nucléaires – ce que nie Téhéran – et les mesures punitives de lundi sont les dernières d’une série qui vise à contrecarrer le programme atomique iranien, qu’Israël, l’allié américain, considère comme une menace existentielle.
«L’Iran fait clairement tout son possible pour garder la maîtrise de sa capacité virtuelle à revenir à l’armement au moment opportun, s’il le souhaite», a déclaré le responsable américain à Reuters
Le fonctionnaire estime que l’Iran cherche à s’assurer une capacité d’armement nucléaire ainsi que les moyens de la mettre en œuvre, malgré les accords de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015 qui visaient à empêcher le programme atomique iranien d’accéder au marché mondial.
En mai 2018, M. Trump s’est retiré de ces accords au grand désarroi des autres parties – la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l’Allemagne et la Russie – et a rétabli les sanctions américaines qui ont paralysé l’économie iranienne.
Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Iran, à son tour, a progressivement dépassé les limites imposées par cet accord, notamment en ce qui concerne la taille de son stock d’uranium faiblement enrichi ainsi que le niveau de pureté de l’uranium enrichi qui lui était autorisé.
«En raison de l’escalade nucléaire provocatrice de l’Iran, ce pays pourrait disposer de suffisamment de matière fissile pour une arme nucléaire d’ici à la fin de cette année», déclare le fonctionnaire sans donner plus de détails. Pourtant, il affirme qu’il se fonde sur «la globalité» des informations dont disposent les États-Unis, y compris celles de l’AIEA.
Pour l’agence basée à Vienne, l’Iran a commencé à enfreindre de manière significative les limites de l’accord de 2015 après le retrait des États-Unis et il continue à enrichir l’uranium jusqu’à 4,5 % seulement, bien en dessous des 20 % qu’il avait atteint avant cet accord, sans parler de la pureté d’environ 90 % qui est considérée de qualité militaire, appropriée pour fabriquer une bombe atomique.
«L’Iran et la Corée du Nord ont repris leur coopération sur un projet de missiles à longue portée, dont le transfert de pièces critiques», a-t-il ajouté, sans préciser quand ce travail conjoint a commencé, s’est interrompu, puis a repris.
Interrogé sur les nouvelles sanctions américaines imminentes et les autres déclarations du responsable américain, un porte-parole de la mission iranienne aux Nations unies les a qualifiées de propagande et a déclaré qu’elles isoleraient davantage les États-Unis.
«Le spectacle de pression maximale des États-Unis, qui comprend la communication sur de nouvelles mesures quasiment chaque semaine, a échoué lamentablement. L’annonce de nouvelles mesures ne changera pas cette réalité», a déclaré le porte-parole de la mission, Alireza Miryousefi, à Reuters dans un email.
«Le monde entier comprend que ces mesures font partie de la prochaine campagne électorale américaine et qu’elles ignorent les prétentions absurdes que les États-Unis ont divulguées aux Nations unies aujourd’hui. Cela ne fera que rendre les États-Unis plus isolés dans les affaires internationales», a-t-il déclaré.
La Maison-Blanche s’est abstenue de tout commentaire avant l’annonce de lundi.
Snapback des sanctions de l’ONU ?
Le responsable américain a confirmé que M. Trump publierait un décret qui permettra aux États-Unis de punir par des sanctions collatérales ceux qui achètent ou vendent des armes conventionnelles à l’Iran, les privant ainsi de l’accès au marché américain.
La cause immédiate de cette décision est l’expiration imminente de l’embargo imposé par les Nations unies sur les armes à destination de l’Iran. Cette décision est un signal d’avertissement pour les acteurs étrangers – les entités américaines sont déjà exclues de ce commerce – : s’ils achètent ou vendent des armes à l’Iran, ils seront soumis aux sanctions américaines.
Dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015, l’embargo des Nations unies sur les armes conventionnelles arrive à échéance le 18 octobre.
Les États-Unis déclarent avoir déclenché un «retour en arrière», ou une reprise, de pratiquement toutes les sanctions de l’ONU contre l’Iran, y compris l’embargo sur les armes, qui doit entrer en vigueur à 20 heures samedi.
Pour les autres parties de l’accord nucléaire et la plupart des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis n’ont pas le droit de réimposer les sanctions de l’ONU, et la décision américaine n’est pas juridiquement valide.
Vendredi, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ont informé le Conseil de sécurité que la levée des sanctions de l’ONU contre l’Iran – convenues dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015 – se poursuivrait au-delà de dimanche, malgré l’affirmation de Washington.
Dans des lettres adressées samedi au Conseil de sécurité, l’ambassadeur chinois à l’ONU, Zhang Jun, et l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, ont tous deux qualifié la décision américaine d’«illégitime» et déclaré que l’allègement des sanctions de l’ONU contre l’Iran serait maintenu.
Samedi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a également informé le Conseil de sécurité qu’il ne pouvait pas valider la déclaration des États-Unis selon laquelle les sanctions des Nations unies avaient été réimposées, car il n’était pas certain qu’elles aient été levées.
«Il n’appartient pas au Secrétaire général de faire comme si cette incertitude n’existait pas», a-t-il déclaré.
Les cibles comprennent les programmes de l’Iran portant sur le nucléaire, sur les missiles et sur les armes conventionnelles
«Le nouveau décret définira les armes conventionnelles au sens large comme tout élément pouvant avoir une utilisation militaire. Par conséquent, il pourrait concerner par exemple les bateaux rapides que l’Iran renouvelle pour harceler les navires dans les eaux internationales», a déclaré le responsable américain à Reuters.
Il comprendrait également les planches de circuits imprimés conventionnels qui peuvent être utilisés dans les systèmes de guidage des missiles balistiques, a-t-il ajouté.
Les cibles visées par les sanctions annoncées lundi, estimées à plus de deux douzaines, comprennent les pays et entités qui sont impliqués dans les programmes de l’Iran portant sur les armes conventionnelles ou nucléaires ainsi que sur les missiles, a déclaré le fonctionnaire. Dans ce contexte, il a précisé que certaines entités sont déjà sanctionnées dans le cadre d’autres programmes américains.
Toutefois, la décision américaine pourrait être critiquée et qualifiée de redondante et conçue à des fins de relations publiques pour paraître stricte envers l’Iran ; une critique récurrente à propos des sanctions américaines.
Parmi les cibles figureront les «organisations d’armement les plus infâmes» de l’Iran, une douzaine de hauts fonctionnaires, de scientifiques et d’experts du complexe nucléaire iranien, les membres d’un réseau d’approvisionnement qui fournit des biens à double usage militaire pour le programme iranien de missiles, ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires impliqués dans le programme de missiles balistiques de l’Iran, a déclaré le responsable américain
Il a refusé de révéler les noms des cibles, affirmant qu’ils seront révélés lundi. Il a de plus souligné que les États-Unis veulent empêcher les compagnies étrangères de coopérer avec eux, même si les gouvernements estiment que c’est légalement permis.
«Vous pourriez avoir une scission dans certains pays où un gouvernement étranger peut prétendre que les sanctions de l’ONU ne reviennent pas mais que leurs banques et entreprises respecteront les sanctions américaines parce qu’elles veulent s’assurer qu’elles ne sont pas une cible future», a-t-il déclaré.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com