TERMEZ: Accroupis dans la poussière soulevée par le ballet des poids lourds dans la ville de Termez, dans le sud de l'Ouzbékistan, des chauffeurs pestent contre le ralentissement du commerce avec l'Afghanistan depuis le retour des talibans.
"Avant, l'aller-retour durait trois jours. Maintenant, il faut une semaine !", maugrée Rafik Khoudjakov, qui livre régulièrement des haricots à Mazar-i-Sharif, dans le Nord afghan, d'où il revient habituellement avec une cargaison de patates.
"Ces gens-là (les talibans) ne savent même pas utiliser les ordinateurs" de la douane, ajoute-t-il.
Plus de deux mois après le retour au pouvoir des talibans à Kaboul, les commerçants du sud de l'Ouzbékistan constatent que les échanges sont possibles avec les extrémistes religieux, à condition de s'armer de patience.
Pour l'Ouzbékistan, un pays enclavé d'environ 34 millions d'habitants, l'Afghanistan représente à la fois un marché et une voie de passage pour atteindre les ports du Pakistan et de l'Iran, donc le reste du monde.
Et le centre de fret de Termez, où M. Khoudjakov et les autres camionneurs patientent, est une plaque tournante importante : ouvert en 2016, il est situé à 60 km à peine de Mazar-i-Sharif, grande ville afghane.
Nouveaux défis
Si le commerce avec l'Afghanistan n'a jamais été facile, l'arrivée des talibans a engendré de nouveaux défis.
M. Khoudjakov explique ainsi que les délais de franchissement des douanes se sont allongés, ce qui coûte de l'argent aux compagnies qui font du commerce et aux chauffeurs.
"Ils vérifient et se contrôlent les uns les autres. C'est devenu très compliqué", peste le chauffeur, suscitant l'acquiescement de ses collègues autour de lui.
Ahmad, un patron ayant requis l'anonymat, explique que ses coûts ont augmenté car ses chauffeurs, des Afghans munis de visas ouzbeks, refusent d'aller plus loin que le poste-frontière d'Hairatan, craignant de ne plus pouvoir revenir.
Par conséquent, son entreprise doit embaucher d'autres chauffeurs de l'autre côté de la frontière pour conduire les marchandises à destination.
"Le retour au pouvoir de ce groupe (taliban) n'a rien apporté de bon", grommelle Ahmad.
Mais de l'autre côté du "pont de l'Amitié" qui enjambe la frontière naturelle entre les deux pays formée par le fleuve Amou-Daria, le nouveau chef --taliban-- de la douane du poste d'Hairatan dément tout allongement des délais.
"Il n'y a rien de tel. Tous ceux qui commercent sont satisfaits. Ils sont encore plus contents que sous le précédent gouvernement (afghan). Les marchandises franchissent la douane rapidement", affirme Abdoul Sattar Rachid.
Ce matin-là, l'AFP a vu plusieurs camions et deux trains d'une trentaine de wagons chacun franchir la frontière.
«Grand avenir»
Les échanges commerciaux entre l'Ouzbékistan et l'Afghanistan se sont élevés en 2020 à 665 millions d'euros, en hausse de 25% par rapport à l'année précédente.
Avant l'irruption des talibans, Tachkent et Kaboul avaient pour cible d'atteindre 1,7 milliard d'euros en 2023.
Pour parvenir à cet objectif ambitieux, une voie ferrée allant de Mazar-i-Sharif à la ville portuaire pakistanaise de Peshawar, via Kaboul, devait être construite.
Mais il faudrait des années pour aménager cette infrastructure, et obtenir les financements s'annonce difficile pour un régime isolé diplomatiquement comme celui des talibans.
Nodir Djalilov, le directeur du centre de Termez, reste toutefois optimiste.
"Notre centre a un grand avenir en ce qui concerne le commerce transitant (par l'Afghanistan) vers les ports au Pakistan comme Gwadar et Karachi", dit M. Djalilov à l'AFP.
"Bien entendu, le mot Afghanistan fait encore peur" aux hommes d'affaires, admet-il toutefois.
Même si Tachkent n'a pas encore reconnu le nouveau gouvernement de Kaboul, une délégation talibane s'est rendue mi-octobre à Termez pour discuter avec des responsables ouzbeks de la voie ferrée, entre autres.
Les talibans "voulaient tout savoir: comment les gens vivent ici, ce que l'Afghanistan peut acheter, ce qu'il peut vendre. Ils sont repartis très contents d'avoir un partenaire comme l'Ouzbékistan", déclare Amroulloh Sadoullah, un homme d'affaires afghan qui vit en Ouzbékistan depuis les années 1990.
Un nombre croissant d'Afghans sont venus à Termez pour y ouvrir des commerces ces dernières années, indique M. Sadoullah.
Et pour lui, pas de doute, les échanges vont exploser: "Si vous revenez à Termez dans cinq ans, la ville sera méconnaissable !".