KHARTOUM: Après une nouvelle nuit de heurts avec les forces de sécurité, les manifestants hostiles au coup d'Etat militaire au Soudan ont réinstallé jeudi des barricades à Khartoum, sur fond de pressions internationales croissantes pour un retour du pouvoir civil.
Lundi, le général Abdel Fattah al-Burhane, désormais seul aux commandes de ce pays pauvre d'Afrique de l'Est plongé dans le marasme politique et miné par les conflits, a dissous le gouvernement censé assuré la transition vers la démocratie et arrêté ministres et hauts responsables civils.
Ce coup d'Etat a provoqué des manifestations quotidiennes principalement dans la capitale Khartoum, émaillées de violences qui ont coûté la vie depuis lundi à au moins sept manifestants selon un dernier bilan de la médecine légale.
Avec des barricades de branchages, de pneus brûlés et de pierres, les manifestants bloquent les avenues de la capitale en pleine "désobéissance civile".
Seules quelques boulangeries sont ouvertes, où se pressent des familles, tandis que comme ces quatre derniers jours, les rideaux de fer des magasins restent baissés.
"Les forces de sécurité tentent de démanteler toutes les barricades en tirant des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc", a déclaré à l'AFP Hatem Ahmed, un manifestant à Khartoum. "Mais on les réinstalle dès qu'elles partent. On ne partira que quand un gouvernement civil sera institué".
Appel à la mobilisation massive
Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ont montré des Soudanais réclamant lors de manifestations nocturnes un "pouvoir civil".
La plupart des organisations de la société civile, les syndicats et associations dissoutes par le général Burhane, ont déjà donné rendez-vous aux opposants au coup d'Etat.
Samedi, ils veulent "un million de manifestants" pour dire non au putsch et réclamer que le général Burhane, commandant militaire durant les trois décennies de pouvoir sans partage d'Omar el-Béchir, rejoigne ce dernier à la prison de haute sécurité de Kober à Khartoum.
En 1989, M. Béchir, lui aussi un général, avait pris le pouvoir par un coup d'Etat contre le Premier ministre élu démocratiquement Sadeq al-Mahdi. Avant d'être mis à l'écart par l'armée en avril 2019 sous la pression d'une révolte populaire.
Lundi, c'est Abdallah Hamdok, le chef du gouvernement de transition mis en place en août 2019, qui a été renversé par le général Burhane. Il est chez lui à Khartoum mais n'est "pas libre de ses mouvements" selon l'ONU.
L'émissaire de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, a rencontré mercredi M. Hamdok et le général Burhane, en réitérant son appel à "un retour au processus de transition" et à la "libération immédiate de tous ceux arrêtés arbitrairement".
Car les forces de sécurité ont aussi raflé militants et manifestants pour tenter d'en finir avec l'opposition au coup d'Etat.
Selon le ministère de l'Information, fidèle au gouvernement déchu, "quartiers et rues de Khartoum sont bloqués par des véhicules blindés et des hommes armés", alors que "des femmes ont été traînées" au sol.
Ambassadeurs limogés
A l'étranger, l'Union africaine et la Banque mondiale ont fait monter la pression sur l'armée, la première suspendant le Soudan de ses institutions et la seconde cessant son aide, vitale pour ce pays. Les Etats-Unis ont eux suspendu une partie de leur aide et l'Union européenne a menacé de suivre.
Pour tenter d'expliquer son coup de force, le général Burhane a invoqué mardi le risque de "guerre civile".
Mais les ambassadeurs occidentaux ont répété que, pour eux, "M. Hamdok est toujours le Premier ministre et son gouvernement le pouvoir constitutionnel".
Après qu'un grand nombre de diplomates soudanais ont annoncé rejoindre le camp de l'opposition, le général Burhane a limogé six ambassadeurs, dont celui de Chine, de l'UE, de France et des Etats-Unis.
"Nous ne voulons pas que le Soudan retourne aux heures sombres de son histoire", a tweeté le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Khartoum venait tout juste de retrouver sa place dans le concert des nations après le renversement de Béchir.
Les manifestants, eux, font valoir qu'ils ont appris leur leçon. Fin 2018 et 2019, ils avaient campé des mois jusqu'à forcer l'armée à démettre M. Béchir, au prix d'une répression qui a fait plus de 250 morts.