PARIS : Acclamée sur les plus grandes scènes lyriques, elle s'était convertie à la chanson avec le musicien Michel Legrand et depuis quelques années, la soprano star française Natalie Dessay se réinvente au théâtre où elle se sent plus «créative» qu'à l'opéra.
Loin des personnages qu'elle a interprétés dans le lyrique -des femmes malmenées par le destin et les hommes-, la chanteuse de 56 ans campe dans la pièce «Hilda» une bourgeoise qui réduit à l'esclavage une femme de ménage à coups d'argent et de manipulation psychologique.
Le texte écrit par la Française Marie NDiaye en 1999 et mis en scène par Elisabeth Chailloux jusqu'à la fin octobre aux Plateaux Sauvages, une salle de spectacle à Paris, est magistralement interprété par la chanteuse qui a toujours été saluée pour son talent de comédienne. En 2007, le quotidien britannique The Guardian la décrivait comme une «bête de scène remarquable» après une interprétation mémorable de «La Fille du régiment» en 2007.
Si elle est une actrice née, elle n'en continue pas moins d'apprendre à apprivoiser la scène autrement.
- «Porter la voix» -
«Je sais ce que c'est d'appréhender son corps sur scène, mais je m'aperçois que je ne respire pas de manière ample au théâtre», affirme-t-elle.
«Le geste est certes moins spectaculaire que lorsqu'on chante, mais il faut continuer à porter la voix et ne pas se contenter de parler», ajoute Natalie Dessay qui joue pour la quatrième fois au théâtre.
Pour cette artiste plus habituée à être dans «une attitude athlétique» sur scène, apprendre un texte «très long et très difficile» pendant six mois est libérateur.
«A l'opéra, c'est la musique qui décide. Et on chante au premier jour de répétition un peu comme on chanterait à la première. Au théâtre, on est beaucoup plus créateur car (le rôle) se construit graduellement», estime-t-elle.
Le rôle est celui de Mme Lemarchand, une femme dominatrice qui est dans un tel abîme de solitude qu'elle embauche Hilda comme femme de corvée et révèle ce qu'il y a «de monstrueux dans chacun d'entre nous».
Pendant une heure et demie, face au mari d'Hilda (qui, elle, n'apparaît jamais sur scène) Dessay excelle dans les nuances, tantôt autoritaire, tantôt manipulatrice ou obséquieuse.
La soprano, qui avait fait ses adieux à l'opéra en 2013, a fait ses débuts deux ans plus tard au théâtre avec un texte tout aussi complexe, «Und», de l'Anglais Howard Barker. Elle confie avoir deux projets de théâtre jusqu'en 2023.
Elle avait collaboré avec Michel Legrand, jusqu'à sa mort en 2019, avec des enregistrements de chansons et incarnant le rôle de Mme Emery dans la version scénique des «Parapluies de Cherbourg» au théâtre parisien du Châtelet.
- «Comme au sport»-
Elle qui n'a jamais cessé de donner des récitals, avec son complice le pianiste Philippe Cassard, éprouve-t-elle une certaine nostalgie pour sa carrière dans le lyrique?
«Pas du tout, je ne regrette rien, j'avais fait le tour de la question. Je me répétais mais en moins bien», assure la chanteuse qui a subi des interventions chirurgicales sur ses cordes vocales.
Étant soprano lyrique léger (voix claire et cristalline), elle chantait surtout des rôles de jeunes filles, ce qui a fini par la frustrer. «La voix n'était plus fraîche comme à 25 ans et je ne voulais pas jouer les jeunes premières vieillissantes, c'est comme au sport».
Durant les confinements, son mari, le baryton-basse Laurent Naouri l'a aidée à retravailler sa voix pour «rééquilibrer les bas-médiums et les graves qui (lui)échappaient».
«J'ai reconstruit ma voix», assure la chanteuse dont l'intégralité de ses enregistrements d'opéra (33 CD et 19 DVD) est sortie en janvier 2021 chez Erato.
Elle trouve la nouvelle génération de chanteurs «hyper courageuse et très bien préparée» mais s'inquiète de l'incertitude liée aux conséquences de la pandémie.
«Je pense que j'appartiens à la dernière génération qui croyait que demain sera mieux que ce qui est derrière. Le temps de l’insouciance est terminée», dit-elle.