LYON : Que faire pour apaiser la Guillotière? Dans ce quartier cosmopolite du coeur de Lyon, la question est au coeur de la grogne de riverains excédés par une recrudescence de l'insécurité et de trafics en tout genre.
La préfecture a accru depuis un an la fréquence des opérations policières, évoque 800 interpellations depuis janvier mais se dit "consciente que les résultats ne sont pas encore pleinement satisfaisants" dans ces rues populaires restées a l'écart de la gentrification du centre-ville.
"La situation s'est vraiment dégradée depuis le premier confinement, avec une hausse des incivilités jour et nuit", soutient Julien Deschamps, président d'une association de commerçants qui - fait rare - ont fermé boutique pour battre le pavé ce jeudi après-midi.
Cette semaine, la plupart des vitrines du quartier situé à un jet de pierre de l'Hôtel Dieu, célèbre bâtiment historique transformé en galerie commerciale de luxe de l'autre côté du Rhône, portaient des affiches signalant des "commerçants abandonnés".
Près de l'arrêt de tramway Gabriel Péri, une petite foule s'amasse chaque jour autour d'étals misérables offrant a la sauvette un bric à brac d'objets d'occasion.
L'ambiance de ce "marché sauvage" semble bon enfant, mais les riverains se plaignent de bagarres "quotidiennes" et du trafic au grand jour de produits volés, contrefaits ou illicites (cigarettes, téléphones...).
Pour lutter contre le vol, la supérette voisine a recruté cinq vigiles et déployé une trentaine de caméras. A côté, une enseigne de restauration rapide s'est restreinte à la vente à emporter.
Mi-septembre, un homme a été blessé par balles à 19H00 devant un magasin de vêtements. Lundi soir, un adolescent de 17 ans a reçu plusieurs coups de couteau non loin de la rive gauche du Rhône.
"Il y a un vrai souci, beaucoup de vols et d'agressions. L'autre jour, j'ai vu des sans-papiers se battre à coups de bâton", explique Mehdi, 23 ans employé d'un magasin situé à proximité.
«Manque de concret»
La préfecture reconnaît que le quartier concentre "beaucoup de problèmes" en évoquant "une problématique migratoire" et "des problèmes sécuritaires" avec notamment "des trafics de stupéfiants et de cigarettes, et de la prostitution".
La municipalité écologiste a demandé à la police municipale d'investir le quartier deux fois par jour et met l'accent sur la vidéosurveillance. De janvier à mai, la mairie a aussi organisé des ateliers participatifs qui ont débouché sur plusieurs propositions visant à "apaiser" le quartier.
Sont envisagés la création d’espaces piétons et cyclables, ainsi que d'un marché de type brocante afin de "légaliser" les activités des vendeurs à la sauvette.
"On parle de coups de feu dans la rue et là on nous propose de planter un arbre, de piétonniser, ce n'est ni pertinent ni suffisant", proteste Nathalie Balmat, présidente du collectif de résidents "Guillotière en colère". D'autres pestent contre le "manque de concret" de ces annonces.
"Ceux qui disent qu’il suffit de faire intervenir des cars de CRS se trompent. On ne règle pas les problèmes comme ça", estimait récemment le maire Grégory Doucet dans un entretien au Progrès.
«Long pourrissement»
L'opposition aux Verts, elle, relaie volontiers l'exaspération des riverains. La région, dirigée par le Républicain Laurent Wauquiez, a proposé cette semaine à la mairie une aide d'un million d'euros pour la vidéo-protection.
Selon Mohamed Chihi, adjoint au maire chargé de la sécurité, "la situation à la Guillotière n'est pas nouvelle", même si, reconnaît-il, "elle est préoccupante".
Lorsqu'a été créé le collectif "Guillotière en colère" en septembre 2019, un "long pourrissement" était déjà constaté depuis trois ans, assure Mme Ballard.
Selon elle, la précédente municipalité pilotée par Gérard Collomb n'a pas "su prendre la mesure" de la situation.
Historiquement, le secteur a été intégré tardivement à la ville, en 1852, après avoir longtemps été un bourg isérois. "C'était la porte d'entrée vers Lyon, devenu un lieu de passage très important de l'Est lyonnais", note Gérard Corneloup, spécialiste de l'histoire de Lyon et enfant de la Guillotière.
Cette mosaïque de mini-quartiers est "un faubourg populaire devenu quartier populaire" au fil des vagues migratoires, résume l'historien.
Aujourd'hui, Mme Ballard songe "très clairement à déménager"', et se dit lasse des "regards et réflexions" de la troupe très masculine qui occupe les trottoirs. "C'est simple, je n'ose même plus me mettre en jupe".