PARIS : A l'heure de la multiplication des fake news et des attaques informationnelles, impossible de gagner la guerre sans pratiquer la cyber-influence et contrer celle des adversaires: un sujet si lourd d'enjeux qu'il fait désormais l'objet d'une doctrine dans les armées françaises.
"Le champ informationnel est un lieu de compétition stratégique", et "l'information fausse, manipulée ou subvertie est une arme", a déclaré mercredi la ministre des Armées, Florence Parly, en présentant cette nouvelle "doctrine militaire de lutte informatique d'influence".
La guerre de l'information, pour convaincre et contrer les influences adverses, a toujours fait partie de l'art de la guerre. Mais le numérique a démultiplié la vitesse et la viralité de la désinformation et de la manipulation déployées pour recruter, démoraliser les troupes ennemies ou perturber les opérations. Le recours à ces stratégies dites hybrides, sous le seuil du conflit ouvert, est aujourd'hui monnaie courante dans tous les conflits.
En 2020, les affrontements entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh "se sont accompagnés d'opérations de propagande, de désinformation et de piratage en ligne", notait dans un récent rapport l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Au Sahel, où sont déployés plus de 5000 militaires français, "on a récemment constaté une recrudescence d'attaques informationnelles pour délégitimer l'action française, minimiser nos succès voire balancer de fausses informations", fait-on valoir au ministère des Armées.
"Haut cadre" de l'opération française Barkhane arrêté à Bamako en possession d'héroïne, photo de soldats russes "arrivés" dans la capitale malienne, militaires français assis sur un tas de lingots d'or... Une rafale d'infox sur les réseaux sociaux derrière laquelle les observateurs voient la main russe, à l'heure où le Mali envisage de recourir aux service des paramilitaires de Wagner.
Il est donc impératif pour les militaires d'investir pleinement le champ immatériel pour "gagner la guerre avant la guerre", selon la formule consacrée du chef d'état-major, le général Thierry Burkhard, alors que des puissances comme la Chine, la Russie ou la Turquie, déploient des actions d'influence plus ou moins revendiquées.
La France est déjà active dans le cyber-espace, avec plus ou moins de discrétion. En décembre 2020, Facebook avait supprimé publiquement trois réseaux de "trolls" gérés depuis la Russie et la France, dont un ayant des connexions avec l'armée française, tous accusés de mener des opérations d'interférence en Centrafrique.
Selon la doctrine française, les armées s’autorisent deux types d'action: opérer une "veille de l'espace numérique autour des opérations militaires" pour détecter des attaques informationnelles adverses comme pour mesurer l'état de l'opinion publique, et "contrer la propagande jihadiste ou les attaques qui cherchent à délégitimer les actions françaises".
Les Etats-Unis sont également actifs dans ce domaine. Chaque commandement militaire américain (COCOM) dispose d'une unité de veille et d'action numérique agissant en soutien des opérations par des actions dans le champ informationnel: dénonciation des infox, perturbation de la propagande ennemie...
En France, ces tâches sont dévolues à des unités militaires spécialisées du Centre interarmées des actions sur l'environnement (CIAE), sous le contrôle par le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER).
Les armées françaises ne s'interdisent par ailleurs pas de recourir à la "déception", à savoir induire l'adversaire en erreur.
Toutefois, "nous mettrons en oeuvre ces opérations en veillant à ce qu'elles soient en parfait accord avec nos principes et nos valeurs", a insisté Mme Parly.
"On ne fait pas de manipulation de l'information", assure-t-on au ministère. "Il y a et il y aura toujours une forme d'asymétrie entre ce qu'on fait et ce que font nos adversaires. La Russie utilise ses médias. On ne fera pas ça".
D'autre part, les actions d'influence des armées seront circonscrites aux théâtres d'opérations extérieures: elles ne seront pas exercées sur le territoire national, a précisé Florence Parly.
Les ingérences numériques étrangères en France relèvent de la compétence de l'agence Viginum, qui a récemment entamé ses travaux, alors que les tentatives de manipulation des opinions sur les réseaux sociaux se sont multipliées dans les campagnes électorales occidentales ces dernières années.