PARIS : C'est frontalement que l'historien Pascal Blanchard a choisi de regarder le racisme dans un livre choc publié jeudi, qui expose les images parfois violentes, parfois insidieuses, d'une humanité jamais débarrassée du fléau.
"Le Racisme en images: déconstruire ensemble" (éditions de La Martinière), coécrit avec l'anthropologue Gilles Boëtsch, rassemble près de 250 images sur plus de deux siècles.
Sur la couverture, des suprémacistes blancs australiens qui reprennent l'habit du Ku Klux Klan, et fixent l'objectif du photographe dans les yeux, bras croisés. "Elle a été pensée comme une image qui doit faire peur", remarque Pascal Blanchard.
Caricatures insultantes d'Africains, images de zoos humains, de la ségrégation ou de l'apartheid, affiches antisémites virulentes, photos de mouvements d'extrême droite... Beaucoup de visuels révulsent.
Mais tout n'est pas aussi transparent dans l'imagerie raciste, et le livre le démontre en exposant des photos qui pour un certain public, à une certaine époque, pouvaient passer pour neutres, ordinaires.
"Quand on dit image raciste, les gens partent de l'hypothèse qu'elle va être très violente, ou immédiatement lisible. Ils ne se rendent pas compte qu'il y a une gradation dans le racisme. On dira: attends, cette image-là n'est pas raciste... Non: elle ne l'est pas pour l'un, mais elle est pour l'autre qui est visé", explique l'historien.
Pascal Blanchard a été l'un des premiers historiens français à renouveler, en dehors de l'université, l'histoire de la colonisation et de l'immigration. Il s'est attiré de nombreuses critiques avec ses ouvrages précédents, perçus par ses détracteurs comme militants, non scientifiques ou relevant d'une histoire-spectacle, comme "Sexe, race & colonies" (2018).
«On prend le venin»
Loin des concepts propres aux "décoloniaux", "Le Racisme en images" déploie un style encyclopédique et grand public pour pointer nos préjugés les plus destructeurs. Car "il est complexe de définir la nature d'images qui, sans être explicitement racistes, fabriquent du préjugé, de la hiérarchie et de l'exclusion", lit-on en introduction.
Au sommaire, un casting prestigieux: l'ancien footballeur Lilian Thuram, les écrivains Leïla Slimani, Alain Mabanckou et Didier Daeninckx, l'académicien Pascal Ory, ou encore les historiens Pap Ndiaye et Johann Chapoutot, entre autres, commentent chacun une image.
Lilian Thuram a choisi un dessin de La Noiraude, une vache. C'est le surnom que donnaient à ce Guadeloupéen certains camarades de Bois-Colombes, en région parisienne. Dans le dessin animé, la vache noire était "dépressive" et "n'arrêtait pas de dire des bêtises". "Pourquoi ont-ils décidé que la vache blanche serait supérieure en intelligence à la noire?", se demande l'ex-capitaine des Bleus, sans avoir la réponse.
Le cliché du tzigane voleur de poules, de l'Africain cannibale, du Juif cupide... "Ce sont des choses qui sont rentrées dans notre culture. Bien sûr on a l'intelligence de prendre de la distance et de dire: stop, pas moi. Oui mais! Nous l'avons dans notre culture. L'image a popularisé un discours raciste savant. Elle fabrique un bain, et c'est difficile de détourner les yeux pour ne pas la voir", relève Pascal Blanchard.
"Et je ne crois pas qu'il faille détruire les statues, brûler les livres, supprimer les images. Il faut partir de ce qui a été produit pour l'expliquer aux générations futures", poursuit l'auteur. "Je dirais que c'est une forme de vaccin: on prend le venin, et on l'utilise pour déconstruire et débattre".