Dix ans après la mort de Kadhafi, la Libye toujours en quête de stabilité

Tripoli le 30 août 2011, des milliers de Libyens se sont rassemblés sur la place pour célébrer le succès des combattants rebelles contre les forces du colonel Kadhafi. (AFP)
Tripoli le 30 août 2011, des milliers de Libyens se sont rassemblés sur la place pour célébrer le succès des combattants rebelles contre les forces du colonel Kadhafi. (AFP)
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Publié le Mardi 19 octobre 2021

Dix ans après la mort de Kadhafi, la Libye toujours en quête de stabilité

  • La Libye, qui a sombré dans le chaos après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, tente de s'extraire d'une décennie de violences et de luttes pour le pouvoir
  • Le règne de Kadhafi a été surtout marqué par une implacable répression de toute velléité contestataire, mais les Libyens ont connu une certaine prospérité pendant ses années au pouvoir grâce à une formidable manne pétrolière

TRIPOLI: Dix ans après la mort de Mouammar Kadhafi, emporté par une révolte qui a plongé la Libye dans un chaos inextricable, le pays peine à achever sa transition vers la démocratie, des désaccords entre camps rivaux menaçant de saborder l'élection présidentielle de décembre. 


Il y a dix ans, le "Guide" Kadhafi était traqué jusque dans son fief de Syrte (nord), lynché par des combattants avant d'être exécuté le même jour et son corps exposé dans un marché.


Après 42 ans d'un règne autoritaire, le "chef de la révolution" qui renversa la monarchie était ainsi emporté par le vent du Printemps arabe. Une intervention internationale controversée, lancée en 2011 sous l'égide de l'Otan, avait contribué à sa chute. 


Mais loin de répondre aux aspirations des manifestants, l'intervention plonge le pays d'Afrique du Nord dans une spirale de violences et divisions internes, alimentées par les ingérences étrangères.

La Libye depuis la chute de Kadhafi: une décennie de chaos

La Libye, qui a sombré dans le chaos après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, tente de s'extraire d'une décennie de violences et de luttes pour le pouvoir.

Kadhafi tué 
Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 1969, est capturé puis tué près de Syrte, sa région d'origine, dans le nord de la Libye.


Confronté, dans le sillage du Printemps arabe, à un soulèvement transformé en un conflit armé, il était en fuite depuis août.


Le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la "libération" du pays.

Premier scrutin libre 
Le 7 juillet 2012, les Libyens élisent la première Assemblée nationale, un scrutin émaillé d'actes de sabotage et de violences dans l'Est. Un mois plus tard, le CNT remet ses pouvoirs au Congrès général national (CGN, Parlement).

Missions diplomatiques attaquées 
Après une attaque contre le consulat américain à Benghazi (est), qui a coûté la vie à l'ambassadeur américain Christopher Stevens, en septembre 2012, et un attentat contre l'ambassade de France à Tripoli (ouest), en avril 2013, la plupart des missions diplomatiques étrangères ferment.

Autorités rivales 
En juin 2014, à la suite de nouvelles élections, le Congrès général national, dominé par les islamistes et de plus en plus contesté, est remplacé par un Parlement contrôlé par les anti-islamistes.


Mais fin août, après des semaines de combats meurtriers, une coalition de milices, en majorité islamistes, s'empare de Tripoli. Elle réinstalle le CGN et un gouvernement.


Le gouvernement en place jusque-là et le Parlement tout juste élu s'exilent dans l'Est. Le pays se retrouve avec deux gouvernements et deux Parlements.

L'EI profite du chaos 
En décembre 2014, le groupe jihadiste Etat islamique (EI) s'implante en Libye. En juin 2015, il s'empare de Syrte, à 450 km à l'est de Tripoli. Il sera chassé de la ville fin 2016.

Accord de Skhirat 
Le 17 décembre 2015, des représentants de la société civile et des députés signent à Skhirat, au Maroc, un accord parrainé par l'ONU. Un Gouvernement d'union nationale (GNA) est proclamé.


Son chef Fayez al-Sarraj s'installe à Tripoli en mars 2016, mais dans l'Est, le cabinet parallèle et le Parlement rejettent le GNA.

Offensive de Haftar sur Tripoli 
Le 4 avril 2019, Khalifa Haftar, qui contrôle l'Est et une partie du sud du pays, ordonne à ses forces d'"avancer" en direction de Tripoli, siège du GNA.


En juin 2020, les forces progouvernementales, aidées par la Turquie, reprennent le contrôle de l'ensemble de l'Ouest, en chassant les combattants de Haftar, soutenu notamment par la Russie, l'Egypte et les Emirats arabes unis.

Cessez-le-feu 
Le 23 octobre 2020, les parties en conflit signent un cessez-le-feu sous l'égide de l'ONU.


Des délégués libyens réunis en Tunisie parviennent ensuite à un accord prévoyant "des élections nationales" le 24 décembre 2021.

Gouvernement unifié 
Le 5 février 2021, 75 délégués libyens réunis sous les auspices de l'ONU en Suisse désignent l'ingénieur et homme d'affaires Abdelhamid Dbeibah comme Premier ministre de transition.


Mais de profondes divisions subsistent entre l'Ouest et l'Est, ce dernier étant toujours contrôlé par Haftar, alors qu'on dénombre quelque 20.000 mercenaires et combattants étrangers dans le pays.

Un scrutin hypothétique 
Le 4 octobre, le Parlement installé dans l'Est, adopte la loi gouvernant les législatives, un peu plus de trois semaines après la ratification du texte encadrant le volet présidentiel du scrutin, taillé sur mesure pour Khalifa Haftar. 


Le Haut Conseil d'Etat (HCE), instance faisant office de Sénat et basée à Tripoli, conteste les deux lois.


Le Parlement a modifié le calendrier du scrutin: la présidentielle est maintenue le 24 décembre mais les législatives se tiendront un mois plus tard.

Après des années d'affrontements entre camps ennemis, un gouvernement de transition a finalement été mis sur pied en mars, sous l'égide de l'ONU, pour mener le pays vers une élection présidentielle prévue le 24 décembre.


"La situation s'est nettement améliorée. Le cessez-le-feu convenu en octobre 2020 est toujours en vigueur et le gouvernement d'unité nationale (GNU) s'accroche en tant que seul gouvernement libyen", décrypte pour l'AFP le chercheur Hamish Kinnear, de l'institut Verisk Maplecroft.


"Mais la stabilité politique est de plus en plus précaire. Les six prochains mois nous diront si la période de calme ayant suivi le cessez-le-feu n'était qu'une opportunité pour les factions armées de panser leurs plaies, ou s'il s'agit de réels progrès vers une solution politique", poursuit-il. 

«Manque d'expérience»
Pour l'universitaire libyen Mahmoud Khalfallah, le scrutin à lui seul "ne suffit pas à apporter une solution définitive".


"Le pays manque d'expérience et la route vers le changement est longue", estime-t-il, en énumérant les conditions à même de pacifier le pays: "fin des ingérences, maturité des électeurs dans le choix de leurs représentants loin de tout tribalisme ou régionalisme, acceptation des résultats par tous". 


Et les divisions font toujours rage. En témoigne la récente polémique autour de la promulgation d'une loi régissant le scrutin présidentiel, taillée sur mesure pour permettre à l'homme fort de l'Est, le maréchal Khalifa Haftar, de se présenter. 


Le texte, ratifié par le Parlement siégeant à Tobrouk (est), a été rejeté par le Haut conseil d'Etat, l'équivalent d'un Sénat, basé à Tripoli (ouest). Le Parlement a également reporté d'un mois les législatives qui devaient se tenir le même jour.


En Tripolitaine, Haftar suscite une profonde animosité depuis qu'il a tenté, en vain, de conquérir militairement la capitale entre avril 2019 et juin 2020. Son portrait, frappé d'une croix rouge, couvre les façades de plusieurs bâtiments officiels. 


"Si les élections se déroulent sur la base décrite par la Chambre des représentants sans un soutien plus large des factions politiques à l'Ouest, cela pourrait provoquer une nouvelle division de la Libye en deux gouvernements concurrents", prévient M. Kinnear. 


"Le risque serait accru si Khalifa Haftar remportait la présidence, car il est une figure toxique pour les factions armées qui ont défendu Tripoli lors de son offensive ratée", poursuit-il.

Libye: Bani Walid, la ville nostalgique de Kadhafi

Un portrait de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi entouré de deux drapeaux verts de sa "Jamahiriya", ou "Etat des masses", accueille le visiteur à Bani Walid, dans l'ouest de la Libye. Dans cette ville située aux portes du désert, les habitants cultivent encore la nostalgie du "Guide", dix ans après sa mort. 


Des constructions cubiques inachevées se succèdent dans un paysage lunaire, dominé au loin par des collines rocailleuses. D'innombrables bâtiments sont couverts d'impacts de balles et d'obus. Partout, la ville porte les stigmates de la guerre.


Bani Walid, qui abrite quelque 100.000 habitants, est un fief de la puissante tribu des Werfalla, restée fidèle au dirigeant déchu en 2011, opposant une farouche résistance aux rebelles qui l'ont finalement conquise en octobre 2012. 


Sur une place publique balayée par le vent et la poussière, une fontaine asséchée se dresse face à un vieux char rouillé. Des restes d'obus et des tubes de mortiers s'amoncellent dans un amas de ferrailles. Un grand panneau constellé des portraits des "martyrs" de la ville domine ce mémorial.


"Mouammar restera à jamais dans nos coeurs!", lance un badaud en voyant les journalistes de l'AFP. Et il n'est pas le seul à éprouver de la nostalgie pour l'ancien dirigeant, capturé il y a dix ans par des combattants révolutionnaires avant d'être exécuté. 


"Mouammar Kadhafi est un symbole. Nous serons toujours ses partisans", clame le quinquagénaire Mohamed Dairi, chemise blanche sous un gilet traditionnel brodé.

«Conspiration»
Le temps semble figé à Bani Walid, vaste oasis au relief accidenté à 170 km au sud-est de Tripoli, comme si la révolte de 2011 n'avait jamais eu lieu. Le drapeau rouge, noir et vert de l'ancien Royaume de Libye, repris après la révolte, ne flotte nulle part. C'est l'étendard vert instauré par Kadhafi, symbole de sa "révolution verte", qui est hissé çà et là.


"Avant 2011, les Libyens étaient souverains et maîtres de leur destin. Ces dix dernières années, ils n'ont connu que bombardements, injustices, meurtres et enlèvements", lâche Mohamed Abi Hamra, la mine grave, une montre à l'effigie de Kadhafi au poignet.


"La révolution est par définition un changement pour le mieux. Ce qui s'est passé en 2011 n'était pas une révolution, mais une conspiration contre la Libye", juge-t-il.  


Pourquoi cet attachement au passé? "Il suffit de comparer 42 ans (de règne de Kadhafi, NDLR) au dix dernières années", élude l'indéfectible partisan du dirigeant déchu.


Si la Libye s'est enlisée dans le chaos après le soulèvement de 2011, elle pourrait clore ce chapitre mouvementé à la faveur d'un processus politique, initié en novembre sous l'égide de l'ONU et dont l'aboutissement doit être l'élection présidentielle du 24 décembre.


Mais Bani Walid ne semble pas prête à tourner la page, elle qui ne s'est rendue aux forces rebelles progouvernementales qu'après une résistance acharnée. "C'était une première dans l'histoire: un Etat avait décidé d'attaquer une de ses villes, ses propres habitants", se souvient avec amertume Mohamed Dairi.

«Fidèles»
L'ingénieur Fathi al-Ahmar partage les mêmes rancoeurs: "Si nous sommes restés attachés à l'ancien régime, c'est que les événements de février 2011 (date de début de la révolte, NDLR) n'ont apporté que guerres, désolations, divisions et atteintes à la souveraineté de notre pays".


Le régime Kadhafi "nous garantissait la sécurité, qui manque aujourd'hui cruellement en Libye", estime-t-il. 


Mouammar Kadhafi fut, des décennies durant, taxé par l'Occident d'être à la tête d'un Etat "terroriste". 


En interne, son règne fut marqué par de multiples exactions. Pour Ahmed Abouhriba, un journaliste de 30 ans à Bani Walid, le colonel "n'était pas un dictateur, mais le garant de l'unité (...) il veillait sur les Libyens comme le ferait un père". 


Cet inconditionnel de Kadhafi vante la stabilité, la prospérité économique et les chantiers lancés sous l'ancien régime, comme pour comparer avec le quotidien actuel des Libyens, rythmé par l'insécurité, les pénuries et l'inflation.


"Tous les projets se sont arrêtés après 2011. Comment suivre les nouveaux courants politiques alors qu'ils n'ont rien construit depuis?", interroge-t-il.


Si l'ex-dictateur n'est plus, son fils Seif al-Islam Kadhafi, dont le portrait se dresse aussi à Bani Walid, a laissé entendre qu'il pourrait se présenter à l'élection de décembre. "Nous sommes restés fidèles à notre Guide Mouammar Kadhafi, nous le serons pour Seif al-Islam", promet M. Abouhriba.

«Une vie meilleure»
Pour la communauté internationale, la priorité est la tenue d'élections, malgré les travers du processus politique.


"Nous sommes conscients qu'il y a eu des irrégularités, voire des faits de corruption, mais nous continuons à croire que la solution réside dans ces élections", confie un diplomate européen à Tripoli.


Les Libyens, eux, aspirent à "une vie meilleure et à la stabilité à travers ces élections", estime l'analyste libyen Ahmed el-Rachrach.


Le règne de Kadhafi a été surtout marqué par une implacable répression de toute velléité contestataire, mais les Libyens ont connu une certaine prospérité pendant ses années au pouvoir grâce à une formidable manne pétrolière. 


Dans les années 2000, le PIB par habitant était ainsi le plus élevé du continent. La guerre a ensuite changé la donne: coupures chroniques d'électricité, infrastructures endommagées, inflation... les Libyens ont subi de plein fouet les affres de l'instabilité.


A Tripoli, une décennie de chaos a "affecté la vie des Libyens psychologiquement et économiquement", lâche Issam el-Mejri, un entrepreneur qui espère voir le futur gouvernement "désarmer" les milices et "lutter contre l'inflation". 


"Nous sommes dans un cercle vicieux à cause d'un processus politique raté", s'exaspère Abdelfattah Benour, un fonctionnaire.


Faraj Najib, commerçant à Benghazi (est), berceau de la révolte, veut rester optimiste: "les élections sont une lueur d'espoir pour les Libyens qui se sont fortement appauvris".


Le procureur de la CPI demande des mandats d'arrêts contre Netanyahu et des dirigeants du Hamas

Une activiste musulmane tient un écriteau représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation contre Israël et en soutien aux Palestiniens à Gaza, devant l'ambassade des États-Unis à Jakarta, en Indonésie, le 17 mai 2024. (REUTERS)
Une activiste musulmane tient un écriteau représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation contre Israël et en soutien aux Palestiniens à Gaza, devant l'ambassade des États-Unis à Jakarta, en Indonésie, le 17 mai 2024. (REUTERS)
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  • Karim Khan a déclaré dans un communiqué qu'il demandait des mandats d'arrêt contre M. Netanyahu et le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant
  • Pour des crimes tels que « le fait d’affamer délibérément des civils », «homicide intentionnel » et «extermination et/ou meurtre »

LA HAYE : Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé lundi des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et des dirigeants du Hamas pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans la bande de Gaza.

Karim Khan a déclaré dans un communiqué qu'il demandait des mandats d'arrêt contre M. Netanyahu et le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant pour des crimes tels que "le fait d’affamer délibérément des civils", "homicide intentionnel" et "extermination et/ou meurtre".

"Nous affirmons que les crimes contre l'humanité visés dans les requêtes s'inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis", a affirmé M. Khan en référence à MM. Netanyahu et Gallant.

Les accusations portées contre les dirigeants du Hamas, dont Yahya Sinwar, le chef du mouvement, incluent "l'extermination", "le viol et d'autres formes de violence sexuelle" et "la prise d'otages en tant que crime de guerre".

"Nous affirmons que les crimes contre l'humanité visés dans les requêtes s'inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas ainsi que d’autres groupes armés dans la poursuite de la politique d'une organisation", est-il écrit dans le communiqué.

 


L'Iran en deuil après la mort du président Raïssi dans un accident d'hélicoptère

Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
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  • Le décès de M. Raïssi à 63 ans ouvre une période d'incertitude politique en Iran
  • En attendant, c'est le premier vice-président Mohammad Mokhber, un homme de l'ombre de 68 ans, qui assumera les fonctions de président par intérim

TEHERAN: L'Iran a décrété lundi cinq jours de deuil pour rendre hommage à son président, Ebrahim Raïssi, décédé dans un accident d'hélicoptère trois ans après l'arrivée au pouvoir de cet ultraconservateur qui était considéré comme l'un des favoris pour succéder au Guide suprême, Ali Khamenei.

Le décès de M. Raïssi à 63 ans ouvre une période d'incertitude politique en Iran, au moment où le Moyen-Orient est secoué par la guerre dans la bande de Gaza entre Israël et le Hamas palestinien, un allié de la République islamique.

Sa mort brutale va entraîner une élection présidentielle au suffrage universel qui devra être organisée "dans les 50 jours", soit d'ici au 1er juillet.

Mohammad Mokhber

En attendant, c'est le premier vice-président Mohammad Mokhber, un homme de l'ombre de 68 ans, qui assumera les fonctions de président par intérim.

A ce stade, aucun nom ne se dégage comme prétendant pour la présidentielle, qui se déroulera quatre mois avant le scrutin présidentiel aux Etats-Unis, principal ennemi de la République islamique avec Israël.

Elu président en 2021, Ebrahim Raïssi était, lui, considéré comme l'un des favoris pour succéder au Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans.

"La nation iranienne a perdu un serviteur sincère et précieux", a déclaré le chef de l'Etat dans une déclaration. En soulignant que "ses ennuis dus à l'ingratitude et aux railleries de certains méchants ne l'empêchaient pas de travailler jour et nuit".

Le gouvernement a rendu hommage au "président du peuple iranien, travailleur et infatigable" qui "a sacrifié sa vie pour la nation".

L'annonce de son décès avait été faite en début de matinée par les agences de presse et les sites d'information après la découverte de l'épave de l'hélicoptère à l'aube. La télévision d'Etat a parallèlement diffusé des chants religieux en montrant des photos du président.

L'hélicoptère du président avait disparu dimanche en début d'après-midi alors qu'il survolait une région de l'Iran escarpée et boisée dans des conditions météorologiques difficiles, avec de la pluie et un épais brouillard.

«grande perte»

La perspective de découvrir vivants le président et les huit autres passagers, avait progressivement diminué durant la nuit.

Parmi eux figurait Hossein Amir-Abdollahian, 60 ans, nommé à la tête de la diplomatie par M. Raïssi en juillet 2021. Etaient également présents le gouverneur de la province d'Azerbaïdjan oriental, le principal imam de la région, ainsi que le chef de la sécurité du président et trois membres d'équipage.

Les secours ont récupéré lundi matin les dépouilles des neuf passagers éparpillés au milieu des débris de l'appareil, un Bell 212. Elles ont été transportées à  Tabriz, la grande ville du nord-ouest, où débuteront mardi les cérémonies de funérailles.

L'épave de l'hélicoptère a été découverte à l'aube sur le flanc d'une montagne qu'il aurait heurté pour une raison encore inconnue, selon des médias. Il s'était envolé dans des conditions météorologiques difficiles, avec des pluies et un épais brouillard.

De nombreux dirigeants, dont certains de pays entretenant des relations tièdes avec Téhéran, ont envoyé des messages de condoléances.

Le président russe, Vladimir Poutine, a rendu hommage à un  "politicien remarquable" et à un "véritable ami" de la Russie. Son décès est une "grande perte pour le peuple iranien", a salué le président chinois Xi Jinping.

«Pas de perturbations»

M. Raïssi, qui avait le titre d'ayatollah, présidait la République islamique depuis près de trois ans.

Considéré comme un ultraconservateur, il avait été élu le 18 juin 2021 dès le premier tour d'un scrutin marqué par une abstention record pour une présidentielle et l'absence de concurrents de poids.

Toujours coiffé de son turban noir et vêtu d'un long manteau de religieux, il avait succédé au modéré Hassan Rohani, qui l'avait battu à la présidentielle de 2017.

Il était soutenu par la principale autorité de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a appelé dimanche "le peuple iranien" à "ne pas s'inquiéter" car "il n'y aura pas de perturbation dans l'administration du pays".

Dernier message pro-palestinien 

Raïssi s'était rendu dimanche dans la province d'Azerbaïdjan oriental, où il a notamment inauguré un barrage en compagnie du président d'Azerbaïdjan, Ilham Aliev, à la frontière entre les deux pays.

Au cours d'une conférence de presse commune, il a de nouveau apporté son soutien au Hamas face à Israël. "Nous pensons que la Palestine est la première question du monde musulman", a-t-il dit.

Dans un message de condoléances, le Hamas a salué un "soutien à la résistance palestinienne".

L'Iran avait lancé une attaque inédite le 13 avril contre Israël, avec 350 drones et missiles, dont la plupart ont été interceptés avec l'aide des Etats-Unis et de plusieurs autres pays alliés.

M. Raïssi était sorti renforcé des législatives qui se sont tenues en mars, premier scrutin national depuis le mouvement de contestation qui a secoué l'Iran fin 2022 à la suite du décès de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict de la République islamique.

Né en novembre 1960, Raïssi a effectué l'essentiel de sa carrière dans le système judiciaire, en étant notamment procureur général de Téhéran puis procureur général du pays, des postes où s'est construite sa réputation de fermeté envers les "ennemis" de la République islamique.

M. Raïssi figurait sur la liste noire américaine des responsables iraniens sanctionnés par Washington pour "complicité de graves violations des droits humains", des accusations balayées comme nulles et non avenues par Téhéran.


Dans le désert syrien, des milliers de déplacés oubliés

Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes. (AFP)
Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes. (AFP)
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  • "Nous sommes pris au piège", regrette Khaled, un policier de 50 ans ayant fait défection, qui refuse de donner son nom de famille pour des raisons de sécurité
  • Khaled a fui il y a huit ans sa région du centre de la Syrie, pour échapper aux exactions des jihadistes du groupe Etat islamique et aux forces du régime

BEYROUTH: Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes.

Au milieu d'un paysage lunaire balayé par les tempêtes du désert, le camp de Rokbane est situé dans un no man's land près de la frontière avec l'Irak et la Jordanie, qui ont tous deux fermé leurs frontières aux réfugiés syriens.

"Nous sommes pris au piège", regrette Khaled, un policier de 50 ans ayant fait défection, qui refuse de donner son nom de famille pour des raisons de sécurité.

"Nous ne pouvons pas nous rendre (dans les autres régions) de Syrie car nous sommes recherchés par le régime, et nous ne pouvons pas entrer en Jordanie ou en Irak", ajoute-t-il.

Khaled a fui il y a huit ans sa région du centre de la Syrie, pour échapper aux exactions des jihadistes du groupe Etat islamique et aux forces du régime.

Le conflit en Syrie s'est déclenché en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, et s'est complexifié au fil des ans avec l'implication d'acteurs régionaux, de puissances étrangères et de groupes jihadistes, sur un territoire de plus en plus morcelé.

Le camp de Rokbane est situé dans une enclave protégée par une base militaire de la coalition internationale antijihadiste dirigée par Washington.

Le régime syrien contrôle les zones tout autour et le passage de l'aide est tributaire de son bon vouloir.

Rokbane a été établi en 2014, au plus fort de la guerre et a compté à un moment plus de 100.000 résidents, mais il n'en reste plus que 8.000 aujourd'hui.

« De pain et de thé »

Poussés par la faim, la pauvreté et l'absence de soins, un grand nombre de déplacés sont partis, surtout depuis que la Jordanie a fermé sa frontière en 2016.

L'ONU qualifie la situation de "désespérée" dans le camp où aucun convoi d'aide humanitaire n'a pénétré depuis 2019. Les vivres y sont acheminées en contrebande et revendues à prix d'or.

Mais les habitants risquent de ne plus recevoir ces maigres réserves. Ils affirmant que les postes de contrôle du régime ont mis fin à tous les itinéraires de contrebande vers le camp il y a environ un mois.

"Mes filles vivent de pain et de thé. Les vivres commencent à manquer", déplore Khaled, joint au téléphone par l'AFP.

La plupart des familles subsistent grâce à l'envoi d'argent par leurs proches à l'étranger ou aux salaires de quelque 500 hommes qui travaillent dans la base américaine voisine pour 400 dollars par mois, explique Mohammad Derbas al-Khalidi.

Ce père de 14 enfants, qui dirige le conseil local du camp, indique être recherché par le régime pour avoir aidé des déserteurs au début de la guerre.

"Si je n'avais pas peur pour mes enfants et pour moi-même, je ne serais pas resté dans ce désert", assure-t-il.

Déportés de Jordanie

Les seuls nouveaux arrivants dans le camp sont chaque année quelques dizaines de Syriens déportés à leur sortie de prison par les autorités jordaniennes, selon le conseil local du camp et l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Depuis début 2024, 24 Syriens ont été déportés, dont Mohammed al-Khalidi, un mécanicien de 38 ans, qui était emprisonné en Jordanie pour trafic de drogue.

Il dit craindre d'être arrêté s'il revient dans la région de Homs dont il est originaire, sous contrôle des forces gouvernementales syriennes, et où il ne lui reste ni maison ni famille.

"Mes proches sont tous en Jordanie, et tous ceux qui étaient en Syrie ont été tués ou sont partis", affirme-t-il à l'AFP qui l'a contacté par téléphone.

Interrogé par l'AFP, un responsable jordanien a affirmé sous couvert de l'anonymat que le royaume "n’a pas forcé et ne forcera aucun réfugié syrien à retourner en Syrie".

« Comme une prison »

"Ce camp a les pires conditions de vie", affirme à l'AFP Mouaz Moustafa, de l'association Syrian Emergency Task Force, basée aux Etats-Unis, qui s'est rendu à Rokbane.

Son groupe a réussi à y acheminer de l'aide par avion, avec l'aide de la base américaine voisine.

"Mais ils ont besoin en premier, avant même la nourriture, de médecins", souligne Mouaz Moustafa, évoquant le cas d'un nouveau né souffrant de problèmes respiratoires ou d'accouchements compliqués.

Après un appel aux dons, Mohammed, 22 ans, a pu partir pour Homs dans le centre de la Syrie, pour subir une intervention chirurgicale au foie.

Quelques mois plus tard, il a échappé au service militaire en Syrie en fuyant au Liban. "N'importe quel endroit sur terre est mieux que Rokbane", dit-il à l'AFP, joint au téléphone.

Il n'a plus vu sa mère et ses deux frères depuis deux ans, ces derniers étant toujours bloqués à Rokbane. "Ma famille sait qu'elle ne sortira jamais (...) Ce camp est comme une prison."