Dans quelle mesure le territoire autonome des Kurdes dans le nord-est de la Syrie est-il stable?

Des membres des services de sécurité intérieure kurdes syriens connus sous le nom d'«Asayesh» défilent en procession devant le corps de leur camarade mort, Khalid Hajji. (Photo, AFP/Archives)
Des membres des services de sécurité intérieure kurdes syriens connus sous le nom d'«Asayesh» défilent en procession devant le corps de leur camarade mort, Khalid Hajji. (Photo, AFP/Archives)
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Publié le Dimanche 17 octobre 2021

Dans quelle mesure le territoire autonome des Kurdes dans le nord-est de la Syrie est-il stable?

  • Bashar Assad ne semble pas intéressé par un État plus décentralisé dans lequel les Kurdes ont une plus grande autonomie
  • Le retrait raté des États-Unis d’Afghanistan pourrait jouer en faveur des Kurdes si Biden veut éviter des scènes similaires en Syrie

MISSOURI, États-Unis : Ilham Ahmed, chef de l'aile politique des Forces démocratiques syriennes(FDS), a fait pression sur Moscou et Washington pour soutenir la représentation kurde dans le processus de paix syrien soutenu par l'ONU.

Ahmed, qui s'est rendu dans les deux capitales ces dernières semaines, souhaite également que la région dirigée par les Kurdes soit exemptée des sanctions imposées en vertu de la Caesar Syria Civilian Protection Act 2019 (la loi César), la législation américaine qui a sanctionné le régime du président Bashar Assad pour crimes de guerre contre le peuple syrien.

Mais qu'espèrent précisément les Kurdes syriens et dans quelle mesure leurs propositions sont-elles viables ?

Des avions à réaction russes, des combattants soutenus par Téhéran, des insurgés soutenus par Ankara, des islamistes radicaux, des troupes américaines et des forces gouvernementales syriennes, ainsi que les Unités de protection du peuple kurde (YPG), opèrent à travers la mosaïque de territoires qui constituent le nord de la Syrie.

Les États-Unis considèrent les YPG comme un allié clé dans la lutte contre Daech dans le nord-est de la Syrie, tandis que la Russie possède des forces dans la région pour soutenir le président Assad.

Alors que certains médias ont rapporté qu'Ahmed, en tant que président du comité exécutif du Conseil démocratique syrien (SDC), faisait pression pour avoir le soutien américain ou russe à la création d'un État séparatiste, les Kurdes syriens ne poussent pas réellement pour un objectif aussi maximaliste.

Les partis kurdes syriens sont favorables à l'idéologie du chef emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdellah Ocalan. Ils affirment rejeter le nationalisme, la sécession et l'étatisme en général, conformément aux écrits d'Ocalan post-2001.

Dans le même temps, les organisations kurdes syriennes semblent établir tous les pièges de leur propre État séparé sur le territoire qu'elles contrôlent.

Leurs forces militaires, notamment les FDS, les YPG et les YPJ, la milice entièrement féminine des YPG, travaillent assidûment pour mettre en vigueur et maintenir leur monopole sur l'usage de la force dans le nord-est.

Ils se sont affrontés non seulement avec les forces turques et divers groupes extrémistes islamistes de la région, mais aussi à l'occasion avec des groupes armés kurdes, les forces militaires du régime Assad, les rebelles de l'Armée syrienne libre et d'autres.

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Une membre des services de sécurité intérieure kurde connu sous le nom d'Asayesh monte la garde lors d'une manifestation de Kurdes syriens contre l'assaut turc dans le nord-est de la Syrie et en soutien aux Forces démocratiques syriennes (SDF), dans la ville de Qamishli. (Photo, AFP/Archives)

Les partis politiques concurrents dans les territoires sous leur contrôle ont également fait l'objet de pressions, voire d'interdictions pures et simples, alors que le Conseil démocratique syrien (SDC) et son allié, le Parti de l'union démocratique (PYD), cherchent à rassembler tout le monde sous les mêmes structures institutionnelles et gouvernementales qu'ils ont créées et dominées.

À certains égards, les Kurdes du Conseil démocratique syrien (SDC) et du PYD se sont avérés très libéraux, accueillant joyeusement les tribus arabes, les chrétiens, les yézidis, les Arméniens, les Turkmènes et d'autres groupes et ethnies dans leurs rangs et leurs structures gouvernantes.

Néanmoins, ils semblent beaucoup moins ouverts et tolérants envers ceux qui cherchent à opérer en dehors du cadre politique d'«autonomie démocratique» qu'ils ont conçu.

Avec leurs propres forces de sécurité, leurs institutions politiques, leurs écoles et diverses organisations de la société civile fondées par le parti, il semble parfois que les Kurdes syriens aient l'intention de bâtir leur propre État séparé. Mais quel choix avaient-ils après le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011 ?

Le régime d'Assad avait brutalement réprimé les Kurdes pendant des décennies avant la récente guerre. Après qu'Assad ait retiré ses forces et une grande partie du personnel du gouvernement syrien du nord-est de la Syrie au début du conflit, pour se concentrer sur les parties ouest et sud du pays où la menace rebelle semblait la plus grande, quelqu'un a dû combler le vide résultant. 

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Des femmes kurdes syriennes portent des drapeaux du parti, pendant qu'elles participent à un rassemblement de soutien aux Forces démocratiques syriennes (FDS) et aux Forces de protection du peuple. (Photo, AFP/Archives)

Des groupes kurdes syriens alignés sur le PKK se sont déplacés pour défendre la région contre Daech et d'autres groupes extrémistes qui tentaient de prendre le contrôle de cette région. Ils se sont battus extrêmement fort contre les islamistes radicaux, infligeant à Daech sa première défaite, à Kobani en 2014.

Libérés de l'emprise de fer du régime pour la première fois de leur vie, les Kurdes ont saisi l'opportunité d'établir des programmes, des centres culturels, des écoles et des institutions en kurde et dans d'autres langues minoritaires.

Craignant les tactiques malveillantes de «diviser pour régner» des puissances voisines, les nouvelles autorités kurdes syriennes ont rejeté les tentatives d'autres partis kurdes, en particulier ceux sous l'influence du gouvernement régional du Kurdistan irakien, et des groupes rebelles arabes visant à créer des partis et des milices concurrents sur leur territoire durement gagné.

Les autorités turques, quant à elles, étaient préoccupées par ce qu'elles considéraient comme l'émergence d'un proto-État contrôlé par le PKK à leur frontière sud. Au cours de trois incursions militaires durant les cinq dernières années qui ont déplacé des centaines de milliers de Kurdes de souche, Ankara s'est emparée de centaines de kilomètres de la bande frontalière et s’est introduit environ 30 km dans le nord de la Syrie.

En 2018, Moscou a semblé donner son feu vert à l'invasion turque d'Afrin, qui à l'époque était sous contrôle des SDF/YPG/PYD, retirant ses troupes et permettant aux avions de chasse turcs d'opérer dans l'espace aérien précédemment contrôlé par la Russie.

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Une femme regarde depuis un toit les troupes américaines patrouiller en 2020 dans les rues de la ville syrienne d'Al-Jawadiyah et rencontre les habitants, dans la province nord-est de  Hasakeh, près de la frontière avec la Turquie. (Photo, AFP/Archives)

L'année suivante, Washington a semblé faire de même, en retirant les troupes américaines de la région de Tal Abyad à la frontière avec la Turquie juste avant l'invasion turque. 

Ces incursions ont laissé l'administration kurde syrienne dans une sérieuse impasse. Sans le soutien américain et la présence d'une force de déclenchement américaine symbolique, la Turquie pourrait bien étendre sa zone de contrôle dans le nord de la Syrie.

Cette semaine encore, le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré que la Turquie était déterminée à éliminer les menaces présumées provenant du nord de la Syrie et qu'une attaque présumée des YPG qui a tué deux policiers turcs à Azaz était «la goutte qui fait déborder le vase».

Pendant ce temps-là, le régime d'Assad ne semble pas intéressé par toute proposition d'un «État syrien plus décentralisé» dans lequel des parties du nord-est resteraient nominalement une partie de l'État mais tomberont en réalité sous contrôle kurde syrien.

Les récentes incursions diplomatiques d'Ahmed se sont donc concentrées sur Moscou et Washington. Dans le premier cas, les Kurdes syriens espèrent convaincre les Russes de persuader le régime d'Assad dans une sorte de compromis qui préservera autant d'autonomie que possible dans le nord-est de la Syrie. Dans ce dernier, ils visent à obtenir un engagement des États-Unis à ne plus les abandonner.

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Des voitures passent devant les panneaux d'affichage de la campagne électorale représentant le président syrien Bashar Al-Assad, candidat au scrutin présidentiel, dans la capitale Damas, le 24 mai 2021. (Photo, AFP/Archives)

Ahmed a exposé ses espoirs lors d'une conférence organisée par le Washington Institute le 29 septembre.

«Le Conseil démocratique syrien (SDC) cherche une solution politique durable au conflit, en prônant un dialogue interne et, en fin de compte, une décentralisation politique et culturelle qui respecte la diversité du pays et renforce le développement économique», a-t-elle souligné.

«Le soutien continu de notre partenaire, les États-Unis, est crucial pour cette mission. L'administration autonome du nord et de l'est de la Syrie est confrontée à de nombreux obstacles, notamment l'insécurité, la pauvreté, l'intervention étrangère et le terrorisme.

«De plus, le processus de paix de Genève et le processus constitutionnel sont au point mort. Les États-Unis pourraient aider à atténuer ces problèmes dans la recherche d'une Syrie plus stable, exempte de tyrannie, de conflits par procuration et de terreur».

Le retrait chaotique des États-Unis d'Afghanistan en août aura sans aucun doute perturbé les Kurdes syriens déjà inquiets quant à leur propre avenir. Assad, la Turquie et Daech seraient tous favorables à un retrait américain similaire du nord-est de la Syrie.

Il est peu probable que «l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie», dont l'organe directeur est Le Conseil démocratique syrien (SDC), puisse résister à de telles pressions combinées. 

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Les troupes américaines patrouillent dans les rues de la ville syrienne d'Al-Jawadiyah. (Photo, AFP/Archives)

Cependant, le retrait raté des États-Unis d'Afghanistan pourrait en fait jouer en faveur des Kurdes syriens, car l'administration Biden essaiera probablement d'éviter un embarras similaire en Syrie de si tôt.

Suite à des rencontres à Washington le mois dernier avec des représentants de la Maison Blanche, du Département d'État et du Pentagone, Ahmed semble avoir reçu une réponse rassurante.

«Les Américains ont promis de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour détruire l'État islamique (Daech) et de travailler à la construction d'infrastructures dans le nord-est de la Syrie», a déclaré Ahmed à l'agence de presse Reuters. « Ils ont affirmé qu'ils allaient rester en Syrie et ne se retireront pas. Ils continueront à combattre l'État islamique».

Elle a ajouté : «Avant, les choses n'étaient pas clairs sous Trump et même pendant le retrait afghan, mais cette fois-ci, les Américains ont tout clarifié».

Sans changement d'attitude à Damas ou à Ankara, les Kurdes syriens n'ont guère d'autre choix que de continuer à compter sur la présence, la coopération et le soutien américains. Au mieux, ils peuvent prolonger le statu quo et la longévité de leur autonomie précaire.

S'ils parviennent à convaincre Washington et Moscou de les aider à rouvrir les points de passage à la frontière avec l'Irak, à les exempter des sanctions visant le régime d'Assad et à autoriser l'acheminement de l'aide internationale directement dans leur enclave, plutôt que de passer par Damas avec le résultat qu'il atteint rarement le nord-est, alors la situation politique et économique s'améliorera.

Sans solution politique plus durable à l'horizon, cela reste probablement le mieux que les Kurdes syriens puissent espérer.

 

David Romano est Thomas G. Strong, professeur de politique au Moyen-Orient à la Missouri State University

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com