Les relations de la Finlande avec la Russie peuvent-elles servir d'exemple au Liban face à une prise de contrôle iranienne? Il faudrait faire un rappel historique pour répondre à cette question. La Finlande était sous domination suédoise jusqu'à la fin du XVIIIᶱ siècle. Lorsque la Suède a perdu son statut de grande puissance, et a été vaincue lors de la guerre de Finlande de 1808-09, la Russie a conquis la Finlande, qui est devenue un grand-duché autonome. Ironiquement, c'est à cette époque que les germes d'un État indépendant ont été plantés auprès de la population.
La Finlande a finalement profité de la révolution russe et de la Première Guerre mondiale pour déclarer son indépendance en 1917. Après une guerre civile de courte durée, elle est devenue une République en 1919. Des mesures de conciliation ont permis son développement rapide en tant que nation.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, un pacte entre l'Allemagne nazie et l'Union soviétique a placé la Finlande sous l'influence de cette dernière. Les forces soviétiques ont attaqué la Finlande en 1939 et occupé de la partie sud-est du pays. Le monde occidental, faible à cette période, a observé cette agression sans réagir, de sorte que la Finlande a dû y faire face toute seule. C'est en partie la raison pour laquelle, lorsque l'Allemagne nazie a envahi l'URSS en 1941, la Finlande a participé à l'attaque. Il a fallu la mort de plus de 90 000 Finlandais et de 300 000 Soviétiques – ainsi que la perte pour la Finlande de 10% de son territoire – pour parvenir au traité de paix de Paris de 1947 qui a finalisé les nouvelles frontières du pays.
Cette brève leçon d'histoire ne s'arrête pas là. Cependant, elle montre déjà que, lorsque nous, au Moyen-Orient, regardons avec envie la stabilité en Europe, il est important de se rappeler qu’il n'y a pas très longtemps de cela, le Vieux continent vivait dans un climat d'instabilité et de conflits similaire, voire plus intense que ce que nous vivons au Moyen-Orient aujourd'hui. Cela signifie qu'il existe une voie vers la stabilité et la prospérité.
L'histoire de la Finlande et de l'Union soviétique correspond davantage au Liban (et à l'Irak) pendant la Guerre Froide. Par la suite, la division de l'Europe entre les États-Unis et l'URSS a clairement placé la Finlande sous l'influence de Moscou sans considération aucune pour les souhaits de sa population. Comment Helsinki a-t-elle pu en l’occurrence conserver son indépendance malgré cet arrangement géopolitique mondial?
De nombreux commentateurs de l’époque ont affirmé que si la Finlande a pu rester souveraine et indépendante, c’est parce que le Kremlin le lui permettait, une manière de montrer au monde l'ouverture et l'impartialité de l'URSS. C'était, en quelque sorte, un outil idéologique nécessaire dans sa lutte contre les États-Unis. Il y a certainement du vrai dans cette thèse. Cependant, la Finlande a également joué un rôle en parvenant à convaincre Moscou que c'était le cas. La Russie soviétique avait compris qu'une nouvelle aventure militaire en Finlande serait coûteuse.
Cette volonté d'apaisement est connue sous le nom de «doctrine Paasikivi-Kekkonen». Elle porte le nom du président Juho Paasikivi et de son successeur, Urho Kekkonen. Une vision pragmatique selon laquelle, pour maintenir l'indépendance, la souveraineté et la démocratie de la Finlande, et pour conserver une économie libre, le pays se devait de rester neutre. Il s’agissait cependant davantage d’une neutralité active que passive, réalisée au prix d'une censure locale et d'une ambiguïté géopolitique, ainsi qu’au travers de différentes mesures visant à satisfaire les Soviétiques.
Ces hommes ont laborieusement construit une relation de confiance avec Moscou, tout en approfondissant les liens économiques avec le bloc occidental, et en s'efforçant de rester neutres dans le contexte difficile de l'Europe de la Guerre froide. Après la chute de l'URSS en 1991, la Finlande a maintenu cet équilibre tout en rejoignant l'UE. Pourtant, encore aujourd’hui, et malgré les diverses coopérations, la Finlande n'a pas rejoint l'Otan, ni aucune autre alliance qui pourrait être perçue comme hostile par Moscou.
Il est assez étrange d'utiliser cet exemple lorsqu'on examine les relations entre le Liban et l'Iran, alors qu'il n'existe pas de frontières communes entre ces deux pays. Contrairement à la Finlande et la Russie, le Liban ne fait partie d'aucune route de planification militaire vers le territoire iranien. Mais, dans un contexte où le Liban est laissé seul sous le contrôle croissant de l'Iran à travers le Hezbollah, que peuvent faire les politiciens libanais non-membres de ce parti pour créer un équilibre avec l’Iran?
Je reste opposé à tous types d'influence iranienne dans la région, à l'exception des influences culturelles et alimentaires positives. Qui pourrait en effet résister à un bon fesenjoon? Je ne peux pas non plus appeler à une opposition tous azimuts, vivant hors du Liban – un privilège – et ne souffrant pas comme ceux qui y sont restés.
Je ne veux pas être hypocrite comme les prétendus penseurs de la résistance occidentale qui appellent au boycott et à l'action militaire depuis les terrasses des cafés parisiens ou depuis les rues sûres de Londres ou de Washington. Une nouvelle génération de dirigeants politiques libanais est nécessaire sur le terrain pour trouver une solution à long terme et conduire le pays vers la neutralité. Cela est d'autant plus vrai que nous pouvons déjà observer un nouvel ensemble d'ententes mondiales et régionales.
C'est un objectif difficile à réaliser, mais pour que le Liban poursuive cette stratégie, il faudrait qu'il transmette un nouveau message à l'Iran, mais aussi au reste du monde. Mais comment l'Iran et le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) pourraient-ils accepter que le Liban d'aujourd'hui devienne neutre? Le Hezbollah fait désormais partie intégrante de l'appareil militaire et sécuritaire iranien, et représente son bras à l’étranger. Cela semble être une mission impossible.
«Il n'y a pas si longtemps, le Vieux continent vivait dans un climat d'instabilité et de conflits similaire, voire plus intense que ce que nous vivons au Moyen-Orient aujourd'hui»
Khaled Abou Zahr
Le Liban semble plus susceptible de suivre le destin de la Tchécoslovaquie que celui de la Finlande. Au début de l’année 1968, les troupes du Pacte de Varsovie dirigées par l'Union soviétique ont commencé à sévir contre les réformistes à Prague, avant d'envahir le pays en août de la même année. Pour obtenir leur véritable indépendance, les citoyens de ce qui est aujourd'hui la Tchéquie, ou la Slovaquie, ont dû attendre la chute de l'URSS et la disparition de tous ses représentants locaux.
Indépendamment des changements considérables en cours au Moyen-Orient, les forces politiques libanaises doivent devenir neutres et s'assurer que le pays ne constitue pas un terrain d'agression envers un autre État. Tout en communiquant ce message, il est nécessaire d'entraver les actions du Hezbollah de manière continue et tactique, sans atteindre un point de rupture. Moins il servira l'Iran, plus le Liban se rapprochera de l'indépendance et de la souveraineté. Ceci fait également partie du processus de finlandisation.
Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une entreprise de médias et de technologie. Il fait également partie de la rédaction d’Al-Watan al-Arabi.
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com