BAYEUX : Le Prix Bayeux des correspondants de guerre a couronné samedi pour la première fois un lauréat qui souhaite rester anonyme pour sa sécurité, après un reportage dans son pays en Birmanie.
"On était tous d'accord" pour attribuer le prix dans la catégorie photo à ce reportage publié par le New York Times, et réalisé par un professionnel, a précisé le président du jury du 28e Prix Bayeux, le grand reporter franco-iranien Manoocher Deghati.
Le jury a voulu mettre en avant "les conditions dans lesquelles travaillent (en Birmanie, ndlr) de très jeunes photographes, professionnels ou amateurs, et l'importance du sujet", a ajouté son président, qui a dû fuir en 1985 son pays d'origine, l'Iran, où sa vie était menacée.
Certaines photos du reportage primé font partie de l'exposition "Myanmar Printemps 2021" qui repose sur le travail de 13 Birmans anonymes et est proposé jusqu'au 31 octobre dans une chapelle de Bayeux.
"Depuis le coup d'Etat militaire, nos journalistes n'ont pas été en sécurité une seconde. Je vis dans une cachette depuis le 1er février", selon un témoignage écrit de l'un d'eux présenté à l'exposition.
Ce prix "montre que la photographie est en train de devenir un truc plus important dans notre vie parce que tout le monde fait de la photo, les citoyens journalistes, c'est vraiment très positif", a ajouté M. Deghati.
En presse écrite, Wolfgang Bauer, né en 1970, reçoit à la fois le Prix du jury international, présidé par Manoocher Deghati, et le Prix Ouest-France Jean Marin. Déjà couronné à Bayeux en 2016, il est cette fois récompensé pour un article diffusé par le journal allemand Zeit magazin, "Among Taliban" ("Parmi les talibans").
C'est un reportage sur l'avancée de talibans "kilomètre par kilomètre", à partir des montagnes où ils étaient repliés depuis 2001, a expliqué M. Deghati.
Dans un message enregistré diffusé à lors de la cérémonie de remise des prix, le journaliste allemand a rendu hommage à l'un de ses fixeurs (traducteur et guide) "tué devant chez lui par deux tireurs probablement taliban il y a quelques semaines".
Les Bosniens Damir Sagolj et Danis Tanovic eux remportent à la fois le prix dans la catégorie télévision Grand format, et dans la catégorie Image vidéo. Ils sont récompensés pour "When we were them" ("Quand nous étions eux"), un reportage sur les milliers de migrants bloqués parfois des années dans le nord de la Bosnie-Herzégovine devant la dernière frontière avant l'Union européenne, "la plus difficile à franchir", a expliqué Damir Sagolj. Ce reportage avec beaucoup de moyens a été diffusé sur Al Jazeera Balkans.
Journalisme clandestin en Biélorussie
En radio, le Prix du jury international est décerné à Margaux Benn pour "A Kandahar, des villages entiers sont devenus terrains minés", diffusé sur Europe1. La reporter a rendu samedi soir hommage au journaliste afghan qui a fait le reportage avec elle et qui est "en grave, grave, grave danger" car il est resté "bloqué" dans son pays.
L'émission qui a diffusé ce reportage a été "supprimée" depuis par Vincent Bolloré qui a "repris en main récemment Europe 1", a déploré l'animateur de la cérémonie Nicolas Poincaré.
En télé, le prix est attribué à Orla Guerin et Goktay Koraltan de la BBC pour "Les tireurs d'élite au Yémen" qui prennent délibérément pour cible des enfants. "Notre propre gouvernement continue de vendre des armes à l'Arabie Saoudite alors qu'on sait que ces armes finissent au Yémen", a commenté Cécile Coudriou, la présidente d'Amnesty international sur scène.
Le Prix du jeune reporter (presse écrite) revient lui à Thomas D'Istria pour "Révolution dans la dernière dictature d'Europe", un reportage en Biélorussie publié par Le Monde. Le lauréat est un étudiant qui a fait pendant un an un travail de journalisme clandestin. "Il est quelque part à Minsk mais on ne vous dira pas où" pour des raisons de sécurité, a commenté Nicolas Poincaré.
Le Prix Bayeux est financé par la ville du même nom, le département du Calvados, la région Normandie et des partenaires privés.