ISTANBUL, Turquie : Recep Tayyip Erdogan l'accuse d'être le chef d'un groupe "terroriste" et le tient pour responsable de la tentative de coup d'Etat de 2016 : à 80 ans, le prédicateur Fethullah Gülen continue d'échapper aux griffes du président turc, des Etats-Unis où il s'est installé.
Vendredi, le Parquet fédéral allemand a annoncé l'arrestation mi-septembre dans un hôtel de Düsseldorf d'un ressortissant turc soupçonné d'espionner le réseau créé et dirigé par M. Gülen.
De longue date présent outre-Atlantique, l'imam a toujours nié tout lien avec le putsch avorté contre le président turc - dont il fut longtemps l'allié - et affirme être à la tête d'un réseau d'organisations caritatives et d'entreprises nommé "Hizmet" ("Service", en turc).
Depuis la tentative de coup d'Etat, la Turquie traque les partisans présumés du réseau de Fethullah Gülen à l'étranger et affirme avoir "rapatrié" plusieurs dizaines de personnes.
La dernière en date connue était un enseignant des écoles Gülen au Kirghizstan.
- Purges -
Le prédicateur et M. Erdogan furent pourtant alliés, le chef de l'État turc ayant même profité du réseau Gülen pour asseoir son pouvoir. Mais Fethullah Gülen est devenu l'"ennemi public numéro un" pour M. Erdogan après un scandale de corruption fin 2013 qui a touché le cercle des intimes de ce dernier.
Pour le président turc, l'imam, qui était installé aux Etats-Unis bien avant d'être accusé de trahison dans son pays natal, a mis en place un "Etat parallèle" destiné à le renverser - ce que les "gulénistes" nient.
Depuis le putsch manqué de juillet 2016, plus de 300.000 personnes ont été interpellées en Turquie dans le cadre de la lutte contre le mouvement guléniste et près de 3.000 condamnées à la prison à vie, selon les autorités.
Dans le cadre de purges d'une ampleur sans précédent, plus de 100.000 personnes ont été limogées des institutions publiques, dont quelque 23.000 soldats et 4.000 magistrats.
Ces purges ont aussi visé des responsables politiques prokurdes et des journalistes critiques.
En parallèle, les services secrets turcs ont mené plusieurs opérations dans des pays d'Asie centrale, d'Afrique et des Balkans pour ramener de force des partisans présumés de M. Gülen.
Début juillet, Ankara a annoncé avoir "rapatrié" un enseignant turc habitant au Kirghizstan, Orhan Inandi, qui s'était volatilisé quelques semaines auparavant et que les autorités turques présentent comme un cadre du mouvement guléniste.
Ankara réclame vainement l'extradition du prédicateur et fait pression sur de nombreux pays, notamment des Balkans, d'Asie centrale et d'Afrique, pour qu'ils ferment les écoles liées au mouvement "guléniste".
Historiquement très influent dans les médias, la police et la magistrature, le Hizmet est parfois qualifié de "secte" : ses membres "s'aident dans les affaires, ils ont une mentalité de missionnaire et un grand sens de l'entreprise", expliquait en 2014 Sam Brannan, du centre de réflexion Center for strategic and international Studies (CSIS).
Ses sympathisants sont tenus de donner du temps ou de l'argent à l'organisation : des étudiants aux mères de familles, en passant par les riches hommes d'affaires.
Mais pour les autorités turques, M. Gülen dirige surtout un groupe terroriste appelé "organisation terroriste des partisans de Fethullah" ("FETO") dont les membres sont étroitement supervisés par des "mentors", de leur carrière à leur vie privée.