PEKIN: De la musique aux jeux en ligne, en passant par la téléréalité et les cours particuliers, la Chine tente de reprendre en mains sa jeunesse et d'imposer des valeurs viriles, par opposition à une décadence morale qui viendrait de l'étranger.
Coup sur coup, le régime communiste a limité drastiquement ces derniers mois le temps que les mineurs peuvent consacrer aux jeux vidéo et a radicalement limité les cours de soutien scolaire.
Des mesures prises au nom de la santé publique (lutter contre la fatigue de l'écran et la myopie) mais aussi de l'égalité (éviter que les parents les plus riches fassent de leurs enfants des bêtes à concours).
Mais elles visent aussi à former une jeunesse plus en phase avec les traditionnelles valeurs socialistes et nationalistes défendues par le président Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir il y a neuf ans.
"Il s'agit d'une politique délibérée destinée à renforcer le contrôle idéologique de la population", observe Cara Willis, spécialiste des médias à l'Université A&M du Texas.
Il est par exemple désormais illégal de rémunérer un professeur d'anglais enseignant la langue de Joe Biden en ligne depuis les Etats-Unis. Une fenêtre sur le monde extérieur est désormais fermée.
Dans le viseur également, les contenus "vulgaires" diffusés sur le petit écran et les réseaux sociaux, appelés à privilégier plutôt les valeurs "patriotiques".
Fini les émissions de téléréalité inspirées par la pop culture japonaise ou sud-coréenne, certains télécrochets... et surtout les stars de la chanson à l'allure par trop efféminée.
Xi à l'école
Alors que la tension monte avec l'Occident, Pékin semble préférer une conception plus testostéronée du mâle chinois, incarnée par le "loup combattant", ce héros de films musclés qui a fait un malheur dans les salles obscures.
Certains médias ont trouvé un coupable: l'influence étrangère.
Le quotidien nationaliste Global Times voit ainsi dans le manque de virilité supposé des stars est-asiatiques un complot de la CIA datant de l'après-guerre, destiné à infiltrer le secteur du divertissement au Japon pour y promouvoir des artistes "efféminés" et ainsi affaiblir l'image des hommes japonais.
Un modèle qui se serait ensuite diffusé en Corée du Sud et en Chine, selon le journal.
Altman Peng, spécialiste de la représentation sexuelle dans les médias à l'Université de Newcastle (Angleterre), décelle au sein du pouvoir chinois "une peur pour la prospérité future du pays liée à la qualité des jeunes générations".
Le Parti communiste au pouvoir se sent menacé par un monde du spectacle "qui offre une alternative à son orientation idéologique", observe le sinologue Steve Tsang, de l'université SOAS à Londres.
On ne s'oppose pas aux directives du régime: des centaines de développeurs de jeux vidéo se sont engagés à bannir les contenus "politiquement nocifs" ou qui relèvent du "culte de l'argent".
Contrôler l'information et le divertissement n'est certes pas nouveau en Chine communiste, avec une censure qui a frappé par le passé les porteurs de boucles d'oreille, de tatouages, ou encore les paroles de chansons rap.
Cette fois, le pouvoir a trouvé un modèle différent pour les jeunes: le président Xi en personne, dont la "pensée" est désormais au programme dès l'école primaire.
«La planche»
Mais le pouvoir peine à convaincre la jeunesse d'assurer l'avenir du pays: si les couples sont désormais autorisés à avoir trois enfants, cette libéralisation annoncée en mai a été accueillie par des sarcasmes de la part de parents écrasés par le coût des loyers et de l'éducation.
D'autres refusent purement et simplement la compétition à tout prix offerte par le monde du travail et choisissent de faire "la planche", un mode de vie sans contraintes dénoncé par la presse officielle.
Quant aux amateurs de jeux vidéo, certains ont déjà trouvé la parade à la limitation des heures de jeu, en empruntant des identifiants d'adultes.
"La génération internet trouve toujours le moyen d'échapper au contrôle des parents et du pouvoir", observe Altman Peng.
Su, une amatrice de téléréalité âgée de 21 ans, reconnaît que les nouvelles règles "pourraient faire du bien à certains adolescents immatures".
"Moi je suis une adulte et je peux décider par moi-même", assure la jeune femme qui préfère ne pas donner son nom complet. "Ce genre de règles qui s'imposent à tous ne favorisent pas la diversité".