PARIS : Les députés ont donné jeudi un premier feu vert à l'utilisation des drones par les forces de l'ordre, avec l'adoption d'un cadre juridique ad hoc, quatre mois après une première tentative gouvernementale jugée inconstitutionnelle via la controversée loi Sécurité globale.
Adopté en fin de matinée en première lecture à l'Assemblée nationale, le projet de loi "responsabilité pénale et sécurité intérieure" a été rebaptisé ironiquement "loi Sécurité globale 2" par certains opposants, défenseurs des libertés publiques.
Le texte prévoit une kyrielle de mesures sécuritaires, dont certaines contenues dans la décriée proposition de loi REM avaient été censurées par le Conseil Constitutionnel. Parmi elles: l'instauration d'un cadre juridique pour l'utilisation des drones ou des caméras embarquées dans des avions ou hélicoptères, par les forces de l'ordre.
La place Beauvau avait annoncé, sitôt la décision du juge constitutionnel connue, vouloir remettre cette disposition parmi d'autres sur le métier. Le ministère a proposé dans le cadre de ce nouveau projet de loi un régime combinant "opérationnabilité" et "sécurité juridique", selon le co-rapporteur LREM, Jean-Michel Mis.
Les Sages de la rue Montpensier avaient en effet ciblé les risques d'atteintes à la vie privée, l'éventail trop large des conditions d'utilisation des drones, la durée d'utilisation et leur nombre jugés potentiellement illimités.
Le projet du ministère de l'Intérieur prévoit de limiter leur usage à une finalité de police administrative: la prévention des atteintes aux personnes, du terrorisme, la sécurité des frontières et des flux de transport.
Le gouvernement cherche avec ce texte à mettre un terme au feuilleton sur l'usage des drones par les forces de l'ordre.
En mai puis décembre 2020, le Conseil d'Etat avait ordonné au préfet de police de Paris de "cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone des rassemblements de personnes sur la voie publique", en l'absence d'un cadre juridique clair.
"Seules la police et la gendarmerie n’ont pas le droit de faire voler des drones. C’est un peu excessif", a grincé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, dans un hémicycle très clairsemé.
"Les voyous font voler des drones", a relevé le ministre, qui a dit s'inspirer du préfet Louis Lépine connu pour avoir modernisé la police parisienne entre 1899 et 1913.
Pas de reconnaissance faciale
"Quand les voyous utilisent le téléphone, peut-être faut-il mettre le téléphone dans les commissariats?", a-t-il badiné.
"Heureusement que les voyous n’utilisent pas des lance-roquettes car vous autoriseriez les policiers à utiliser des lance-roquettes", a ironisé en retour Ugo Bernalicis (LFI).
Socialistes, communistes et insoumis se sont opposés au projet gouvernemental. Si le texte exclut la reconnaissance faciale ou l'interconnexion avec des fichiers de police, salue le communiste Jean-Paul Lecoq, cependant "les drones pourront être déployés quelles que soient les situations ou presque".
L'ex-coordonnateur LREM de la commission des Lois Pacôme Rupin a lui aussi fait part de son opposition à l'usage des drones, amendement à l'appui.
M. Darmanin a souligné que l'usage de ces aéronefs, décidé par arrêt préfectoral, pourrait faire l'objet de recours devant la justice administrative.
Le gouvernement a par ailleurs écarté les amendements visant à utiliser les drones pour lutter contre les rodéos urbains, comme l'avait préconisé un rapport parlementaire. Sa position pourrait cependant évoluer lors de l'examen du texte au Sénat du 18 au 20 octobre.
La Défenseure des Droits a critiqué le projet de loi, accusé de ne pas assurer "une conciliation équilibrée" entre objectifs d’ordre public et vie privée.
Elle remarque aussi que cette technologie est "susceptible de porter atteinte au droit de manifester si elle est utilisée lors de manifestations".
La question de l'ensemble des "images" captées par les forces de l'ordre - un enjeu majeur pour l'Intérieur - sera loin d'être bouclée en cas d'adoption de la loi, qui vise aussi à clarifier l'usage des caméras embarquées ou la captation d'images en cellules de garde à vue.
Le but de Beauvau est en effet de parvenir à un statut juridique unique pour toutes les images. Un "très long travail" qui pourrait aboutir dans le cadre de la future loi de programmation de la sécurité intérieure prévue pour 2022, selon M. Darmanin.