PARIS: La puissante major de l'industrie musicale Universal Music (UMG), filiale de Vivendi, va entrer en Bourse mardi à Amsterdam. Cette introduction vient souligner le renouveau d'une entreprise à succès et un énième coup financier pour Vincent Bolloré.
Lorsque Vincent Bolloré prend le contrôle de Vivendi en 2014, il met la main sur cette filiale musicale gérée de Santa Monica, aux portes de Los Angeles (Californie), qui a traversé la crise du MP3 et du piratage avec les deux autres géants du secteur Warner et Sony.
Le groupe est notamment propriétaire des célèbres studios Abbey Road qui ont abrité les Beatles et Lady Gaga, ou encore Kanye West et Amy Winehouse, de EMI Records (Justin Bieber, Keith Richards, Metallica) et de Capitol Records (Katy Perry, Paul McCartney).
Il s'est également offert en 2020 les droits de l'intégralité du catalogue de chansons de Bob Dylan, l'une des acquisitions les plus importantes de l'histoire de la musique.
Grâce à l'essor du streaming et des offres d'écoute illimitée par abonnement, UMG est devenu la poule aux oeufs d'or de Vivendi, jusqu'à générer en 2020 7,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit 46% des revenus du groupe.
Pour la direction de Vivendi, propriétaire notamment du groupe Canal+, du géant de la communication Havas ou de l'éditeur Editis, le temps est pourtant venu de laisser Universal poursuivre seul sa route et de recentrer Vivendi sur l'édition, la publicité et les médias.
Peut-être considère-t-elle qu'avec une valorisation supérieure à 30 milliards d'euros lors de la vente de 20% à un consortium mené par le chinois Tencent, puis de la cession de 10% au financier Bill Ackman, la valeur d'UMG est proche de son sommet.
"Nous créons les conditions pour que la valorisation de Vivendi dans son ensemble soit supérieure à la somme des parties qui le composent", justifie le président du directoire Arnaud de Puyfontaine qui entrevoit "des passerelles entre l'édition et l'audiovisuel, entre le gaming (jeu vidéo) et le spectacle vivant, entre la musique et la publicité".
Alors que la valorisation du géant français reposait jusqu'ici en grande majorité sur UMG, "il va falloir démontrer qu'il y a réellement des synergies au sein du groupe", analyse Thomas Coudry, du cabinet Bryan Garnier & Co.
Mais l'opération poursuit un autre but: en distribuant 60% d'UMG à ses actionnaires via un dividende exceptionnel en nature, Vincent Bolloré se sert d'abord lui-même en récupérant 18% des actions (environ 6 milliards d'euros).
Avec l'entrée en bourse d'Universal, Vivendi se sépare de son joyau
Poule aux disques d'or
Universal règne sans partage sur le marché mondial de la musique enregistrée avec plus de 30% des parts et contrôle de prestigieux labels comme EMI, Capitol, Def Jam, Polydor, Blue Note, Decca et Deutsche Gramophon.
La major s'est offert en décembre 2020 l'ensemble du catalogue de chansons de Bob Dylan, soit plus de 600 titres, en plus de stars qui tutoient régulièrement les meilleures places des classements mondiaux de ventes et de streaming.
En plus de valeurs sûres comme les Beatles, les Rolling Stones ou Andrea Bocelli, elle a aussi signé plusieurs artistes à succès, comme Drake, qui monopolise le sommet des classements Spotify, et les trois artistes féminines les plus écoutées sur des plateformes de streaming en 2020, Billie Eilish, Taylor Swift et Ariana Grande.
Au premier semestre 2021, huit des dix albums les plus vendus dans le monde ont été produits par la major, notamment ceux de Justin Bieber et d'Olivia Rodrigo.
C'est le Britannique Lucian Grainge, chez Universal depuis une trentaine d'années, qui dirige des États-Unis la "major" avec beaucoup d'indépendance. PDG d'UMG depuis 2011, il a supervisé notamment le rachat d'EMI.
Au sein d'Universal Music France, Olivier Nusse a succédé en 2016 à l'emblématique Pascal Nègre, à la suite de désaccords de ce dernier avec Vincent Bolloré.
Universal Music, star de Vivendi
Malgré la baisse des ventes physiques liées à la crise du Covid et son lot de restrictions sanitaires, UMG - entré dans le giron de Vivendi en 2000 avec à l'époque les studios de cinéma, revendus en 2004 à NBC - profite de l'engouement pour l'abonnement et le streaming: ses revenus issus de l'écoute de musique en ligne ont augmenté 24,7% au premier semestre 2021.
Universal Music est le moteur de Vivendi: la major représente à elle seule 92,6% du bénéfice net groupe, soit 452 millions sur 488 millions au premier semestre.
Universal assure aussi à lui seul 46% des 3,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires du groupe au premier semestre 2021.
Rachat d'actions
Mieux, il le fait en minimisant son impôt au titre de l'exonération fiscale des dividendes entre un groupe et sa filiale au sein de l'Union européenne. Et, grâce aux 10% conservés par Vivendi et à une gestion concertée annoncée avec Tencent, il gardera une influence certaine dans la major.
Enfin, Vivendi, dont la trésorerie est désormais pleine mais qui craint une opération hostile à l'occasion de la baisse attendue de son cours, consécutive au détachement d'UMG, a profité de l'engouement de ses actionnaires pour se faire autoriser à racheter jusqu'à 50% de ses propres actions.
Cette limite "assez extraordinaire", selon un activiste qui avait fait part de ses réserves sur le projet initial, est vendue comme un moyen pour le groupe de se défendre face à toute attaque hostile avant le redéploiement de ses activités.
Vivendi a ainsi annoncé mercredi qu'il comptait avaler Lagardère d'ici à la fin 2022, et reste engagé dans l'opérateur Telecom Italia.
Mais certains analystes y voient aussi une possibilité pour Vincent Bolloré de se renforcer considérablement à moindre coût au capital de Vivendi si ces titres venaient à être annulés.
Le groupe Bolloré s'est toutefois engagé dans une lettre: s'il venait à franchir par ce biais le seuil de 30% du capital, il ne dérogerait pas à son obligation de déposer une OPA sur Vivendi.