SAINT-MALO : Lumières du «Tribute in Light» dans le ciel de New York, cérémonie d’hommage avec Joe Biden et les anciens présidents Clinton et Obama, minutes de silence, concert avec Bruce Springsteen interprétant I’ll See You In My Dreams, écrans affichant les noms des 2977 victimes à Times Square… Vingt ans après les attentats du 11-Septembre, les commémorations ont été légion.
Mais à quoi servent-elles? Maître de conférences et chargée de cours à l’université de Metz, psychologue, psychotraumatologue, auteure de l’ouvrage Le traumatisme psychique chez l’adulte*, Evelyne Josse, soulève l’importance de ces commémorations publiques, qui jouent un rôle pour les victimes, leurs proches et leur communauté. «Ces cérémonies sont des étapes nécessaires dans le parcours du deuil. On honore la mémoire du défunt. C’est crucial pour les victimes, mais aussi les blessés, ceux qui sont sortis indemnes ou ont été témoins de ces horreurs», explique-t-elle pour Arab News en français.
«C’est une manière de reconnaître les préjudices vécus par ces personnes. À Manhattan, la vie a repris son cours. Les personnes qui ont été touchées de près ou de loin dans leur chair peuvent se sentir abandonnées. Commémorer, c’est officialiser leur douleur et leur tristesse. C’est recevoir la compassion des politiques et de la société en général», souligne l’experte.
Devoir et travail de mémoire
Ces actes cathartiques ont également une dimension communautaire. «Les attentats terroristes remettent en cause les valeurs du vivre-ensemble. Pour qu’une société fonctionne, elle doit reposer sur des conventions et des lois. Les attentats sont des coups de canif dans ce contrat social, qui est basé sur la sécurité, le respect de la vie, la morale et la justice. Ces actes délibérés font tout basculer», assure la psychologue. «Commémorer les victimes, c’est une manière de réaffirmer ces valeurs. Participer à ces rituels marque notre identité sociale. Les terroristes veulent imposer une façon de penser. Honorer la mémoire de leurs victimes, c’est conforter notre appartenance au groupe, à la nation et à l’humanité dans son ensemble. On met de côté son ʺmoiʺ individuel au profit du ʺmoiʺ social. Ce qui nous rassemble devient alors plus important que ce qui nous sépare. L’identitaire et le politique rejoignent alors le communautaire», poursuit Evelyne Josse.
Le caractère officiel des commémorations vient participer au travail de mémoire. La psychologue évoque ainsi une dimension d’historisation (travail de mémoire). «On va permettre à ces actes de rentrer dans l’Histoire. Aujourd’hui, pour un adulte, le 11 septembre 2001 fait partie de son histoire personnelle. Ce n’est pas le cas d’un plus jeune. En travaillant sur la mémoire, on fait entrer l’événement dans l’histoire collective. Je pense toutefois que le travail de mémoire, c’est se souvenir et oublier. Si on oublie les tragédies comme les guerres ou les attentats, on prend le risque que cela se reproduise. Cependant, il est important d’oublier pour ne pas garder de rancune entraînant un besoin de vengeance. Prenons l’exemple des pays d’ex-Yougoslavie. Les Serbes ont massacré les Croates et les Bosniaques dans les années 1990, et cela ressemble à une revanche des Serbes pour les crimes commis par l’État indépendant de Croatie à leur égard entre 1941 et 1945. Ne pas oublier, c’est conserver une colère et une haine qui peuvent ressurgir à tout moment», prévient Evelyne Josse.
Pour la psychologue, le travail de mémoire permet de dépasser le traumatisme. «L’événement doit devenir un chapitre de l’histoire parmi d’autres. Les monuments aux morts des deux guerres mondiales ont aujourd’hui perdu leur charge émotionnelle et donc leur caractère dangereux, car l’émotion se diffuse avec les générations, et perd de son intensité. Cet apprentissage de l’horreur passée permet que l’Histoire ne se répète pas.»
*Deuxième édition, parue en 2019 aux Editions De Boeck Supérieur - www.resilience-psy.com