PARIS: « On est parti, on commence »... Au procès des attentats du 13-Novembre, un responsable de la police anti-terroriste a raconté dans le détail la chronologie d'une « enquête totale », qui n'a laissé que peu de zones d'ombres, pour remonter la trace des commandos, des logisticiens et des donneurs d'ordre.
« En quatre ans il a pu être identifié l'ensemble des auteurs, leurs complices, le commanditaire en Syrie, les périples à travers l'Europe pour ramener les commandos de terroristes, et l'inscription de ces attaques dans une campagne plus large d'attentats », résume à la barre « Sdat 99 », l'identification sous laquelle dépose le policier, à visage découvert.
Il ne parle que depuis quelques minutes quand Salah Abdeslam l'interrompt, hurlant pour se faire entendre depuis le box - les micros sont coupés.
« C'est quand qu'on aura la parole ?! », scande le seul membre encore en vie des commandos.
« Monsieur Abdeslam, si vous continuez vous allez sortir du box », le prévient calmement mais fermement le président Jean-Louis Périès. Il doit s'y reprendre à plusieurs fois avant que le Franco-marocain de 31 ans ne finisse par se taire.
L'enquêteur reprend l'exposé, qui durera au total quatre heures. Son débit est rapide, il regarde à peine ses notes posées sur le pupitre devant lui et connaît visiblement le dossier par cœur.
Il décrit les « défis » d'une « enquête sans précédent » avec des « constatations simultanées sur huit scènes de crime », une « collecte minutieuse » d'indices parfois « microscopiques » dans un contexte de « course contre la montre, avec plusieurs individus en fuite et la possibilité d'un sur-attentat ».
« Indicible »
Plus de 1000 enquêteurs ont été mis sur le pont et confrontés à des « scènes indicibles », précise le policier.
Il raconte tout, dans les moindres détails : les boulons projetés « à 40 mètres » du corps du premier kamikaze du Stade de France, les « 130 munitions retrouvées devant le Carillon et le Petit Cambodge, « qui témoignent de l'intensité de la fusillade ». »Les douze jihadistes, récupérés en cinq convois » par Salah Abdeslam, les faux documents d'identité utilisés par la cellule « tous produits au même endroit », ou encore le détecteur d'explosif « qui va saturer tellement il y a de TATP stocké » dans une des planques.
Il revient aussi sur des détails glaçants. Comme ce téléphone portable, retrouvé dans une poubelle à côté de la voiture abandonnée par le commando du Bataclan. Le dernier SMS a été envoyé à 21h42 le soir du 13 novembre, cinq minutes avant le début de la fusillade : « On est parti, on commence ».
Il raconte aussi que paradoxalement, ce sont des « incohérences » dans la revendication des attentats par l'Etat islamique qui mettront la police sur la piste de Salah Abdeslam.
L'Etat islamique parle de « huit frères » et d'un attentat dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dit-il. « Nous comprenons qu'un terroriste est en fuite ». Salah Abdeslam, dont le rôle exact le soir du 13-Novembre reste flou, a été exfiltré vers la Belgique après les attentats et arrêté après quatre mois de cavale.
« Taisez-vous »
Le policier parle depuis trois heures quand Salah Abdeslam se remet à protester, à renfort de grands gestes. « Taisez-vous M. Abdeslam », le coupe le président. Salah Abdeslam continue, debout dans le box. Jean-Louis Périès l'arrête à nouveau.
« Pendant des semaines et des semaines vous allez entendre des fonctionnaires de police revenir sur le déroulement des attentats, sur l'enquête... Ca va durer neuf mois », le prévient-il. Salah Abdeslam proteste encore avec véhémence - il est cependant inaudible depuis les rangs de la salle d'audience.
« Vous allez aussi entendre des victimes, des parents de victimes, même si ça ne vous plaît pas », reprend placidement le président. « Il va falloir vous armer de patience. Vous pouvez vous rasseoir ».
Salah Abdeslam s'assoit.
C'est au tour de ses avocats de se lever. « Cela devait être une présentation générale, et là on est dans le détail du détail », proteste Me Martin Vettes. Un « doublon », « encore plus pointilleux » du volumineux rapport fait par le président neuf heures durant, entre vendredi et lundi en première partie d'audience, abonde Me Olivia Ronen.
« J'entends les protestations qui peuvent venir du box, les réponses ne viendront que dans quatre mois », continue-t-elle.
Les premiers interrogatoires sur le fond de Salah Abdeslam et de ses co-accusés sont prévus en janvier.
L'audience reprend mardi, avec l'audition de la juge antiterroriste belge Isabelle Panou.