BRUXELLES: Au lendemain du 13 novembre 2015, la Belgique est montrée du doigt comme base arrière des djihadistes qui ont attaqué Paris, et ses autorités soumises à « une pression gigantesque » pour retrouver Salah Abdeslam, se remémore le chef du parquet fédéral belge.
Frédéric Van Leeuw raconte avoir été prévenu quelques heures à peine après les sanglants attentats (130 morts) que son pays serait concerné au premier plan par les investigations.
Il assure aujourd'hui que « presque 90% de l'enquête » ont été effectués en Belgique, où les attaques du Stade de France, des terrasses de restaurants et du Bataclan avaient été en bonne partie préparées (location de planques, confection d'explosifs...).
« Le soir du 13 novembre, on est assez vite au courant de ce qui se passe à Paris », se souvient le magistrat, à l'époque déjà habitué à la coopération antiterroriste avec la France, en particulier avec le procureur de Paris François Molins.
« Dans le courant de la nuit, j'ai un échange de textos avec lui et à un moment il me dit: ‘Frédéric, j'aurai besoin de toi: c'est du belge’ », poursuit M. Van Leeuw.
Dans la capitale française, la police vient de retrouver une voiture noire correspondant à une de celles utilisées par les commandos.
« Bashing dans les médias »
Elle est immatriculée en Belgique, avec à l'intérieur un contrat de location au nom d'un certain Salah Abdeslam, un Franco-Marocain domicilié à Bruxelles dont on découvrira rapidement qu'il est le seul des dix assaillants encore en vie.
Le 14 au matin, il échappe à un contrôle autoroutier dans le nord de la France, peu avant de franchir la frontière pour regagner Bruxelles en compagnie de deux autres hommes.
Les gendarmes français le laissent repartir d'une façon assez incompréhensible avant la réponse des autorités belges » sur sa dangerosité présumée, affirme le procureur fédéral.
Une version contestée en France, dont les autorités ont mis en cause un manquement des Belges dans le partage de données.
Une chose est sûre: Salah Abdeslam devient ce jour-là l'homme le plus recherché d'Europe, tandis que sa commune d'origine Molenbeek passe aux yeux des médias internationaux pour un repaire de djihadistes, un lieu où la Belgique, taxée d'« Etat défaillant », n'aurait pas vu prospérer l'islamisme radical.
« Évidemment, il y a une pression gigantesque sur les épaules » des autorités belges, lâche Frédéric Van Leeuw. Et « la mauvaise communication de la justice (...) a contribué au ‘bashing+ dans les médias », admet-il.
Il faudra quatre mois pour retrouver Salah Abdeslam, finalement interpellé le 18 mars 2016 à Molenbeek, tout près du domicile de ses parents, en compagnie d'un complice tunisien, Sofien Ayari (lui aussi accusé au procès parisien).
Trois jours avant l'arrestation, la police belge a découvert presque par hasard l'appartement où ils se cachaient.
« Complètement noyée »
Preuve que l'enquête a été « très minutieuse », selon M. Van Leeuw, les policiers passaient au peigne fin les multiples fausses identités recensées dans le dossier, avec les locations ou abonnements associés à ces noms.
Et ce 15 mars, dans la commune bruxelloise de Forest, ils croyaient trouver un logement vide en perquisitionnant une adresse où les compteurs avaient été coupés depuis plusieurs semaines.
Accueillis par des rafales de kalachnikov, ils sont contraints de riposter. Un djihadiste est tué en leur faisant face pour couvrir la fuite de deux hommes: l'un sera rapidement identifié comme étant Salah Abdeslam, l'autre est Sofien Ayari.
« C'est là que les événements se sont accélérés », souligne le procureur fédéral.
L'interpellation retentissante du 18 mars dans une deuxième planque à Molenbeek fait craindre aux derniers membres de la cellule du groupe Etat islamique encore cachés à Bruxelles que l'étau ne se resserre très vite sur eux.
Alors le 22 mars au matin, trois kamikazes se font exploser à l'aéroport et dans une station de métro, faisant 32 morts.
« On n'imaginait pas qu'un attentat pouvait être organisé aussi vite », dit M. Van Leeuw, reconnaissant aussi qu'avec le départ dans les rangs de l'EI en Syrie de « centaines » de jeunes combattants belges, la police avait été « complètement noyée » sous le volume d'informations.