Daech en embuscade grâce aux milices iraniennes

La reconstruction dans les régions sunnites détruites en Irak ne fait que de prendre du retard
La reconstruction dans les régions sunnites détruites en Irak ne fait que de prendre du retard
Short Url
Publié le Vendredi 11 septembre 2020

Daech en embuscade grâce aux milices iraniennes

Daech en embuscade grâce aux milices iraniennes
  • Si nous pouvions remonter à 2013-2014, juste avant l'arrivée de Daech à Mossoul, nous  observerions à peu de choses la même situation qu’aujourd’hui
  • L’idée répandue  à Bagdad et dans certains thinks thanks de Washington selon laquelle les zones sunnites et kurdes sont mieux gérées lorsqu'elles sont gouvernées par des forces chiites est fausse

La défaite territoriale de Daech était simplement la première d'une longue série d’étapes nécessaires pour détruire complètement l'organisation terroriste et son idéologie. C'est peut-être la première fois qu'une campagne militaire menée par les États-Unis détruit des villes et revendique la victoire sur une insurrection terroriste. 
Mais les insurrections sunnites ne sont pas vaincues en visant les populations sunnites elles-mêmes et en détruisant des villes lors de campagnes de bombardement. Les insurrections se multiplient lorsqu'un gouvernement sectaire cible et fait disparaître des dizaines de milliers d’hommes sunnites sans discrimination. Les enfants d'hommes sunnites non affiliés à Daech, tués ou emprisonnés en attendant d'être exécutés pour avoir collaboré avec l’organisation terroriste grandiront pour se venger. Ils n'ont pas à croire en une idéologie terroriste pour utiliser le groupe comme moyen de vengeance.
La destruction des régions sunnites d'Irak lors de la campagne anti-Daech n’a fait que recréer les conditions qui ont permis l’émergence du groupe terroriste. Le gouvernement irakien et les milices qui ont détruit les villes sunnites, appuyés par la puissance aérienne américaine, ont pris le territoire en détruisant des villages et des infrastructures. Mais Daech peut désormais mener une attaque n'importe où en Irak.
La reconstruction dans les régions sunnites détruites en Irak ne fait que de prendre du retard. Les sunnites ne font pas partie d’une force unique et uniforme pour tenir le territoire et sécuriser la population dans les zones précédemment contrôlées par Daech. 
L’idée répandue  à Bagdad et dans certains thinks thanks de Washington selon laquelle les zones sunnites et kurdes sont mieux gérées lorsqu'elles sont gouvernées par des forces chiites est fausse. Ce seraient les sunnites et les Kurdes qui causeraient des problèmes. Cet argument a été mis à mal par le mouvement de protestation de la jeunesse chiite, qui a rejoint les rangs de milices privées ou de milices iraniennes qui sévissent en Irak.
Ces milices ne comprennent pas des Irakiens chiites qui portent l'uniforme de l'armée irakienne ou de la police irakienne  - elles sont plus fidèles à Téhéran qu’à l’Irak.

Les milices soutenues par l'Iran considèrent chaque homme sunnite d'âge militaire comme un futur combattant ou collaborateur de Daech
Michael Pregent

Des conditions propices au retour de Daech
Les milices soutenues par l'Iran considèrent chaque homme sunnite en âge de servir pour l’armée comme un futur combattant de Daech ou un ancien ou futur collaborateur de Daech. Ils ne connaissent pas ces régions sunnites, ils ne connaissent pas les tribus, on ne leur fait pas confiance. Ils traitent les sunnites comme faisant partie de potentielles futures cellules infectées par Daech.
La méfiance entre les Irakiens de toutes les communautés et ces milices soutenues par l'Iran a actuellement atteint son plus haut niveau, et pendant ce temps, Daech observe.
Si nous pouvions remonter à 2013-2014, juste avant l'arrivée de Daech à Mossoul, nous  observerions à peu de choses la même situation qu’aujourd’hui : un gouvernement sectaire oppressif désintéressé par les sunnites privés de leurs droits dans les provinces d'Anbar, de Salah ad Din, de Diyala et de Ninive ; un gouvernement qui n’apporte pas de réponse à la disparition de dizaines de milliers de sunnites aux mains des forces de sécurité, de Jurf al-Nasr à Ramadi et Tikrit.
La campagne de bombardements de la coalition en Irak et les opérations de nettoyage à Ramadi et Mossoul ont détruit des secteurs entiers de ces villes fortement peuplées. Les opérations ont tué des dizaines de milliers de personnes et forcé deux millions d'Irakiens à quitter ces villes et à rejoindre la cohorte de réfugiés déplacés à l'intérieur du pays.
À aucun moment durant la campagne anti-Daech, des hommes sunnites en âge de combattre n’ont été autorisés par Bagdad ou par les États-Unis à affronter cette menace terroriste sunnite. Les leçons de 2007, lorsque les États-Unis avaient donné aux sunnites le pouvoir de reprendre leurs quartiers à Al-Qaïda et aux milices soutenues par l'Iran, ont été oubliées. Les États-Unis ont plutôt agi comme une force aérienne permettant l’avancée des milices iraniennes de Qassem Soleimani.
La lutte contre Daech n’est plus une priorité des Américains
Le commandement central américain estime que Daech est aussi fort maintenant qu'il l'était juste avant d'occuper Mossoul avec 2 000 combattants. Les responsables américains pensent que des milliers de combattants de Daech opèrent dans les espaces hors du contrôle de l’Etat le long de la frontière entre l'Irak et la Syrie. Le califat est bien vivant, car il fonctionne désormais selon le modèle d'Al-Qaïda en Irak et en Syrie, tout en maintenant et en gagnant du territoire dans les espaces où l’Etat est absent, de la région du Sahel en Afrique.
Mais qui y prête vraiment attention ? Les États-Unis sont plus concentrés sur la protection de leurs forces contre les milices soutenues par l'Iran que sur la résurgence de Daech. Les milices elles-mêmes ne focalisent pas leurs efforts sur Daech – mais sont davantage attachées à tuer et à faire disparaître des jeunes chiites du mouvement de protestation populaire, elles cherchent avant tout à protéger leurs places fortes  dans les zones chiites contre ces manifestants et à déplacer armes et hommes en Syrie. Enfin, ils attaquent également les missions américaines en Irak et en Syrie et tentent de forcer les États-Unis à quitter l'Irak.
Daech profite également du Covid-19, de la méfiance à l'égard des milices, des manifestations et d'une situation sécuritaire où les États-Unis et leurs supposés partenaires ont cédé des territoires dans les zones sunnites et le long de la frontière syrienne à des milices soutenues par l'Iran. Le gouvernement irakien et les États-Unis continuent de détourner le regard de l’essentiel. 
Les États-Unis continueront à développer leur stratégie de renseignements afin de cibler les cellules de Daech et leurs principaux dirigeants, sans se préoccuper des régions sunnites d’Irak et de Syrie délaissées, qui constituent un bassin de jeunes recrues qui n’ont aucune voix au chapitre dans un pays qui a évolué. Ils veulent la justice et ils veulent se venger de Bagdad, de Téhéran et des États-Unis.
Pour permettre la défaite durable de Daech, les États-Unis doivent faire pression sur Bagdad afin d’intégrer des sunnites dans l'armée, pour qu'ils opèrent dans les zones où le groupe terroriste survit, en raison de la méfiance de la population locale à l'égard des milices. 
Les États-Unis doivent également faire pression sur le Premier ministre irakien, Mustafa Al-Kadhimi, pour qu'il désarme et force les milices soutenues par l'Iran à sortir de l'appareil de sécurité, mais aussi pour qu’il réforme la loi électorale et organise des élections libres et équitables. Ils doivent également pousser Bagdad à libérer les fonds prévus pour la reconstruction des zones sunnites détruites.
Ces recommandations sont le seul moyen d'empêcher Daech de tirer les leçons de son expérience et de les appliquer pour faire des ravages à tout moment. La situation actuelle fait de la résurgence du groupe terroriste un scénario probable - très dangereux mais évitable.

Michael Pregent, ancien officier des renseignements, est un associé principal à l’Institut Hudson.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction dun article paru sur www.arabnews.com