PARIS: Il le redoutait comme une fatalité depuis des mois. Alors lorsque ce soir-là, un journaliste l'appelle pour l'informer qu'une fusillade vient de faucher les clients du bar La Belle équipe, Manuel Valls réalise aussitôt que son cauchemar est devenu réalité.
"Depuis des mois, je suis concentré, marqué, voire obsédé par ce risque-là", se remémore l'ex-Premier ministre. "A ce moment-là, je comprends que nous y sommes, que l'attaque coordonnée et organisée contre la France que nous craignions a commencé (...) qu'on a basculé dans quelque chose qui va être terrible".
Il n'est pas encore 22H00 le 13 novembre 2015, la France est frappée par l'attaque jihadiste la plus meurtrière de son histoire.
Ce vendredi soir, François Hollande assiste au stade de France à une rencontre amicale de football entre la France et l'Allemagne. De la tribune, il est le témoin inattendu du premier acte.
A 21H16, une forte détonation toute proche fait sursauter le chef de l'Etat et les 80.000 spectateurs. Quatre minutes plus tard, un autre "boom". "La deuxième détonation ne me laisse plus de doute", raconte-t-il, "nous sommes frappés par un acte terroriste".
Aussitôt, François Hollande quitte discrètement la tribune présidentielle pour le PC sécurité du stade.
"Je fais continuer la partie de manière à ce qu'il n'y ait pas de panique et de mouvement de foule", poursuit-il. "Mais je sais alors qu'il y a des attaques en plein Paris et que nous sommes devant un acte de grande ampleur (...) un acte de guerre".
Arraché à un dîner en famille, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve le rejoint très vite à Saint-Denis.
Lui aussi anticipait une attaque massive. "Nous n'avons pas d'information spécifique sur ce jour-là, mais nous savons que le niveau de menace est extraordinairement élevé. Et nous ne le cachons d'ailleurs pas aux Français".
«Vertigineux»
"Nous comprenons alors qu'il s'agit d'une attaque importante", poursuit l'ancien ministre, "et qu'il faut immédiatement activer la cellule interministérielle de crise de Matignon de façon à mobiliser l'ensemble des administrations".
Gaspard Gantzer n'a rien oublié de ces quelques minutes où ceux qui dirigent le pays réalisent ce qui est en train de se jouer.
"Personne n'est encore au courant mais nous, nous savons qu'un massacre est déjà en cours", détaille l'ancien communicant de l'ex-président. "On a le sentiment qu'un monde s'effondre sous nos pieds, ça a quelque chose de vertigineux."
Une fois le trio exécutif replié place Beauvau, la réaction s'organise.
François Hollande donne son feu vert à une intervention au Bataclan, où deux jihadistes sont enfermés avec douze otages, et convoque un conseil des ministres pour décréter l'état d'urgence.
"Ça s'est imposé comme une évidence à partir du moment où nous avons compris (...) que nous devions être capables très vite d'agir et de protéger les Parisiens, les Franciliens, les Français, d'organiser dans la mesure du possible, avec méthode, les contrôles aux frontières", commente Manuel Valls.
Et avant-même l'épilogue de la prise d'otages du Bataclan, François Hollande décide de s'adresser aux Français.
"Lui voulait attendre la fin du Bataclan mais il a dû parler avant", dit Gaspard Gantzer. "J'avais reçu des centaines de SMS. Où est le président, pourquoi il n'a pas parlé ? La pression était insupportable".
«C'est une horreur»
Avec une poignée de conseillers, le chef de l'Etat griffonne quelques idées sur une feuille et se lance. Il est près de minuit, toute la France est scotchée devant la télévision. Le président est grave, ému et décrit sans fard la situation. Ses mots claquent: "c'est une horreur".
"Je voulais que chacun comprenne bien que ce qui nous était fait était d'une violence, d'une intensité, d'une volonté morbide, meurtrière", explique François Hollande, "que face à l'horreur nous devions nous-mêmes être des humains".
Sitôt les deux preneurs d'otages neutralisés, le chef de l'Etat ira lui-même se confronter à l'horreur au Bataclan.
"C'est là que je vois des visages, des femmes et des hommes qui sortent de ce lieu hagards, perdus, terrorisés au sens plein du terme et que je me rends compte de l'ampleur de la catastrophe".
Près de la salle de concert, un Parisien interpelle vivement Bernard Cazeneuve: "tout ça, c'est de votre faute !"
"Ça s'explique par le sentiment d'effroi, la peur qui s'empare du pays, la volonté ou le besoin des Français d'exprimer cette angoisse spontanément", explique aujourd'hui l'ex-ministre.
"On comprend à travers cette phrase que l'ambiance ne sera pas la même qu'après le 11 janvier", observe Manuel Valls. "Les terroristes se sont attaqués à un mode de vie (...) nous savons que la réaction des Français, et la nôtre, nous amènera à d'autres décisions".
Après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, plus d'un million de Français se sont retrouvés dans les rues de Paris pour crier leur amour des libertés. Trois jours après ceux du 13 novembre, le président choisit un discours solennel devant l'Assemblée et le Sénat réunis à Versailles pour marquer "l'unité" du pays.
Elle sera de courte durée.