PARIS: "A la fois sauveteurs et victimes": le 13 novembre 2015, pompiers et médecins se sont démultipliés comme ils ont pu au milieu du chaos pour "sauver les sauvables", malgré le choc, l'horreur et le sentiment d'une mission impossible.
Il est à peine 21h30 ce soir-là, dans le XIe arrondissement de Paris. L'adjudant-chef des pompiers de Paris Christophe et son équipage, appelés pour une "fusillade", se garent à 50 mètres du bar La Belle équipe. Le sous-officier sort seul faire un état des lieux et des risques.
Mitraillée sept minutes plus tôt, la terrasse est une "scène de terreur" qui lui met comme "un coup de fouet en pleine tête".
"On a une cinquantaine de personnes qui courent dans tous les sens, crient, hurlent", l'implorent de venir sauver leur mari, leur femme, leur ami fauché par les balles. Devant le bar, "des dizaines de corps sont allongés, enchevêtrés dans les tables, les chaises" et "beaucoup de sang" qui s'écoule.
L'adjudant-chef revient en courant vers son camion, où sa dizaine d'hommes attend son rapport.
En s'efforçant de "cacher ses émotions", il ouvre la porte du véhicule et leur lance: "les équipes avec moi, les chefs, vous commandez". En clair: les victimes sont innombrables, nous ne sommes qu'une dizaine, déployez-vous en petites équipes pour secourir un maximum de personnes.
Après les premières attaques un peu plus tôt au Stade de France, le "plan rouge alpha" a été déclenché chez les pompiers de Paris: pour sauver un maximum de vie, ils doivent identifier "urgence absolue", tenter d'arrêter les hémorragies et évacuer rapidement ceux qui tiennent le coup vers des hôpitaux.
"Faites le mort"
Mais par qui commencer? Comment trier ? "Les premiers instants ont été compliqués", admet l'adjudant-chef Christophe. "Toutes les plaies sont importantes, mais on ne peut pas sauver tout le monde".
Avec autant de blessés, il a fallu recourir aux moyens de fortune, faire des garrots avec des ceintures, des morceaux de vêtements déchirés, "ce que l'on avait" sous la main.
Installer un poste médical avancé sur les tables d'un restaurant voisin, le Petit Baiona, y faire de la "médecine de guerre" et persévérer, même quand des victimes succombent aux blessures des kalachnikovs.
Les jeunes pompiers, dont certains ont à peine 20 ans, doivent contrôler leurs émotions face à ce amas de victimes dont beaucoup ont leur âge, et leur peur que le bar soit soudain à nouveau attaqué.
Plus de cinq ans après, l'adjudant-chef reste admiratif de ses "gars" qui "ont tout donné et beaucoup encaissé", comme la vue de ces victimes qui rendent l'âme alors que l'écran de leur portable s'allume en affichant "Papa" ou "Maman".
Au total, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) enverra 450 pompiers et plus de 125 véhicules sur les sites attaqués. Et près de 400 autres seront mobilisés pour d'autres tâches, notamment les centres d'appels, submergés.
Les appels, qu'ils prennent par centaines, sont parfois déchirants. "Ils ont entendu des gens qui hurlaient, des rafales en direct, puis plus rien au bout du fil", explique le commandant Matthieu, psychologue à la BSPP. A certains otages du Bataclan, "ils ont donné des conseils: mettez sur silencieux, faites le mort… en se demandant sans cesse s'ils ne les mettaient pas en danger".
Au Bataclan justement, vers 22h35, le Dr Matthieu Langlois, embarqué avec le Raid, pénètre dans la salle, où morts et survivants sont entassés dans la fosse inondée de sang, alors que deux assaillants sont toujours au premier étage.
"Les blessés les plus graves sont déjà morts" faute d'avoir été soignés à temps, se souvient-il.
Sonneries de portables
Près de la gare du Nord, l'hôpital Lariboisière accueille les "urgences absolues". En voyant la tête des premiers ambulanciers venus des terrasses, eux-mêmes en état de choc, Océane Sultan, interne qui vient de commencer sa garde, comprend l'ampleur du désastre.
Les victimes font preuve d'un courage et d'une patience qu'elle n'a jamais revus depuis. Comme ces deux blessés qui "nous regardaient, l'un avec sa balle au bras, l'autre au ventre". "Quand ils voyaient des cas plus plus graves, ils restaient silencieux, ils avaient la patience d'attendre".
De l'intérieur du Bataclan, le médecin chef des pompiers Olivier se rappelle lui ce lourd silence troublé par les sonneries des portables des victimes entassées "les unes sur les autres".
Au total, 843 pompiers auront participé aux secours ce soir-là. "Dans ces cas-là, on peut être à la fois sauveteur et victime", explique le commandant Matthieu, le psychologue de la BSPP, en soulignant que "même si on est formé, on n'est jamais totalement préparé" à de telles scènes de guerre.
"Il y a heureusement du positif, des vies sauvées. Mais le pompier va toujours se poser des questions sur celles qu'il n'a pas sauvées, car il se sent responsable d'autrui", explique-t-il.
Cinq ans après, "je n'ai pas vu de pompier qui ne s'en sortait pas", note le commandant Matthieu. Mais, ajoute-t-il, pendant un certain temps, des chefs d'équipe "ont fait des détours, par exemple pour ne pas passer devant le Bataclan".