ATHENES: Dans le camp de Moria, détruit par les flammes il y a un an sur l'île grecque de Lesbos, les enfants non accompagnés étaient confrontés aux rats, aux inondations et au "danger d'électrocution", selon un journal de bord retrouvé dans les cendres.
Rescapé du feu qui a ravagé le camp de migrants le 9 septembre 2020, le carnet de bord, découvert puis authentifié par l'AFP, était tenu quotidiennement par des employés de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) chargés de l'encadrement des mineurs.
Il a été retrouvé quelques jours après l'incendie non loin de la zone dite "sûre" de Moria, une section réservée aux enfants seuls. Proche de la route principale et séparée du reste du camp par des barbelés, cet espace abritait les mineurs jusqu'à leur transfert sur le continent ou dans un pays européen.
En théorie, l'OIM, l'agence onusienne responsable de la zone, devait les surveiller 24 heures sur 24 mais les auteurs du carnet de bord admettent leur impuissance à de nombreuses reprises.
Traduites du grec, les notes manuscrites s'étalent de novembre 2018 à mai 2019. Elles évoquent les violences, la consommation de drogue, les auto-mutilations ou encore des cas d'abus sexuels commis par des résidents adultes du camp.
Le jour de Noël 2018, un homme se présentait à l'entrée de la "zone sûre", rapporte le carnet de bord. Il accusait une fillette de l'avoir volé, après lui avoir remis de l'argent "en échange de choses qui ne peuvent pas être décrites", écrit un employé de l'OIM.
Le 18 novembre 2018, un autre employé note qu'"à l'intérieur du carton contenant des oranges, nous avons trouvé un rat mort". Le ton qu'il emploie atteste que ce n'est pas la première fois.
"Grave danger d'électrocution"
Le même jour, la pluie avait inondé un conteneur abritant des enfants ainsi que le quartier des gardiens. "Grave danger d'électrocution", relève le carnet de bord.
Quatre jours plus tard, les eaux pluviales avaient à nouveau envahi des préfabriqués. L'employé suggère que les enfants concernés "devraient être déplacés dans d'autres conteneurs jusqu'à ce que la météo soit meilleure".
"Danger d'électrocution", écrit-il en soulignant ces quelques mots au stylo.
Les coupures fréquentes d'électricité sont également dénoncées.
Par une nuit glaciale, le personnel de l'OIM se trouve dans l'incapacité de garder au chaud le nouveau-né malade d'une adolescente célibataire.
"Toute la nuit, S. et H. sont restées avec nous dans la pièce de l'OIM", écrit l'auteur du rapport du 1er décembre 2018, évoquant la jeune mère et son bébé dont les noms ne sont pas divulgués par l'AFP.
Sans électricité ni chauffage, "le bébé avait froid et pleurait et devait être malade" mais "le médecin militaire auquel nous l'avons montré a dit qu'il n'avait pas l'expérience des bébés et que quelqu'un d'autre devait le voir le lendemain".
Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU (HCR), 406 des résidents de Moria étaient alors des enfants ayant traversé sans aucun parent la mer Égée depuis les côtes turques voisines.
Tué en "zone sûre"
Les mineurs non accompagnés fuyant guerres ou misère et arrivant en Europe après un voyage souvent traumatisant, sont considérés comme la catégorie la plus vulnérable parmi les réfugiés.
Après la destruction de Moria, les pays de l'UE se sont précipités pour accueillir les enfants laissés sans abri.
Des travailleurs sociaux accompagnant aujourd'hui certains garçons transférés à Hambourg, en Allemagne, ont déclaré à l'AFP qu'il faudrait des années à ces enfants pour effacer le traumatisme de leur séjour à Moria.
Le 25 août 2019, trois mois après la dernière note du journal de bord, un Afghan de 15 ans est mort après avoir été poignardé dans la zone dite "sûre".
L'adolescent, qui se trouvait sur l'île de Lesbos avec ses deux frères, attendait d'être transféré en Autriche pour rejoindre ses parents.