DUBAI : En Afghanistan, les nouveaux dirigeants talibans font actuellement face à une crise économique dans la mesure où les aides et autres sources financières étrangères se tarissent. Cependant, les économistes ne remettent pas en question leur aptitude à gérer l’économie du pays, estimée à 20 milliards de dollars (1 dollar = 0,85 euro), même si ce dernier fait figure de paria sur la scène financière internationale.
La préoccupation la plus grande concerne sans doute la stabilité de l’économie nationale et de la monnaie locale, l’afghani. Ajmal Ahmady, le gouverneur de la Banque centrale afghane, qui a fui le pays la semaine dernière au moment où les talibans arrivaient à Kaboul, affirme que l’Afghanistan traverse une crise économique dont les caractéristiques sont une dépréciation considérable de sa monnaie, des perspectives d’inflation rapide et une pénurie des produits importés de première nécessité. «La situation est vraiment très difficile», affirme-t-il aux médias.
La stabilité macroéconomique ne peut être maintenue à court terme. Toutefois, sur le moyen et long terme, si l’on s’achemine vers un règlement politique et que les liens sont rétablis avec les États-Unis, l’Europe et les pays du Golfe, la stabilité pourrait être progressivement instaurée», déclare à Arab News Nasser Saïdi, expert économique du Moyen-Orient.
Selon M. Saïdi, qui a occupé les postes de ministre de l’Économie et de vice-gouverneur de la Banque centrale du Liban, la Chine et d’autres pays non occidentaux voient des avantages économiques et stratégiques en Afghanistan sous le règne des talibans – si toutefois la stabilité est atteinte.
Cependant, le scénario actuel est le chaos économique. Avant même la prise de contrôle rapide du pays, symbolisée par la chute de Kaboul la semaine dernière, l’économie afghane était en crise – une véritable activité «zombie» reposant essentiellement sur les dons étrangers, sur les exportations illégales comme celle des stupéfiants et sur une administration rongée par la corruption et les pots-de-vin.
Au cours des deux décennies d’occupation occidentale, l’économie afghane a d’abord connu un essor rapide grâce aux dépenses américaines en matière d’infrastructures militaires et, dans une certaine mesure, civiles. Jusqu’en 2015, l’activité économique et le niveau de vie ont connu une amélioration rapide.
Au cours des cinq dernières années, on assiste à une stagnation car les aides internationales se font plus rares. En dépit de tous les dons étrangers, le produit intérieur brut par habitant s’élève à 507 dollars par an seulement, selon la Banque mondiale, ce qui place l’Afghanistan dans le bas du classement des richesses mondiales.
Les Afghans sont actuellement confrontés à la perspective immédiate d’un effondrement total.

«Une grande partie des progrès économiques des vingt dernières années s’appuie sur le soutien extérieur. Le retour de l’Afghanistan au statut de paria mondial pourrait porter un coup dur à l’économie», explique Gareth Leather, un économiste asiatique de Capital Economics, un cabinet de conseil en recherche économique situé à Londres.
En attendant de voir quel type de gouvernement les talibans mettront en place, ces dons étrangers indispensables vont se tarir.
En retirant leurs troupes, les Américains ont suspendu l’accès à des réserves d’un montant de 9 milliards de dollars détenues dans leur pays au nom de la Banque centrale afghane. Le soutien financier a été principalement fourni par les États-Unis au cours de ces vingt ans de présence militaire, étant donné qu’ils ont dépensé trois mille milliards de dollars pour financer leur occupation. Ce sera un coup dur immédiat pour le nouveau régime.
Dans une lettre adressée à Janet Yellen, secrétaire au Trésor, le Congrès américain se montre clairement réticent devant l’idée de fournir un soutien financier à «un régime qui soutient des actes terroristes contre les États-Unis et leurs alliés».
De plus, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé qu’il suspendait l’accès de l’Afghanistan à ses facilités de prêt, précisant qu’un «manque de clarté au sein de la communauté internationale» l’avait poussé à bloquer le programme d’aide de 370 millions de dollars.
D’autres grandes institutions occidentales qui auraient pu investir en Afghanistan dans des circonstances différentes devraient également suivre les pas des États-Unis et du FMI.
Quel type de régime économique les talibans peuvent-ils donc mettre en place pour pallier le manque d’aides occidentales? Les nouveaux dirigeants disposent de quelques avantages.
D’abord, ils ont pris le contrôle d’une véritable économie, avec 38 millions d’habitants dont beaucoup aspirent à faire partie de la classe moyenne et à jouir des attributs d’une société de consommation, notamment dans les grandes villes. Reste à savoir dans quelle mesure les talibans répondront à ces aspirations.

Par ailleurs, les talibans possèdent un peu d’expérience dans la gestion économique puisqu’ils ont dirigé de vastes régions du pays pendant plusieurs années. Ils ont même développé un système fiscal afin de se procurer les armes et les ressources nécessaires pour mener leur guerre contre Kaboul et les États-Unis.
«Ils contrôlent depuis un certain temps les routes commerciales vers d’autres pays, ce qui leur a permis de financer le mouvement taliban. Cependant, cela ne suffira pas à financer l’ensemble d’un gouvernement», souligne M. Saïdi.
Les taxes appliquées par les talibans sur des marchandises comme les cigarettes et les produits pétroliers représentent une part importante des revenus du groupe militant, estiment certains experts.
David Mansfield, spécialiste de l’Afghanistan à l’Overseas Development Institute, déclare au Financial Times: «Les impôts sur les marchandises légales constituent la première source de financement des talibans. Les drogues ne représentent pas une source de financement aussi importante que beaucoup le laissent entendre.»

Néanmoins, la culture de l’opium – également taxée par les talibans – demeure une importante source de revenus pour le pays. Elle n’a cessé de se développer pendant l’occupation, malgré des opérations américaines de lutte contre les stupéfiants qui ont coûté des milliards de dollars depuis l’invasion, en 2001.
Une enquête menée par l’ONU (Organisation des nations unies) montre que la récolte d’opium a augmenté de 37% en 2020. En outre, certains rapports font état d’une implication afghane dans les ingrédients de base pour la fabrication de produits à base de méthamphétamine destinés à l’exportation.
Zabihullah Mujahid, le porte-parole des talibans, a promis récemment que l’organisation ferait de l’Afghanistan «un pays sans stupéfiants» et a lancé un appel à l’aide internationale pour «relancer notre économie».
Si Mujahid veut mettre ses ambitions à exécution, il devra se rabattre sur les exportations traditionnelles afghanes. Trading Economics, un cabinet de conseil de New York, répertorie les exportations légales du pays: il s’agit de tapis et de moquettes, de fruits secs et de plantes médicinales. Aucun de ces biens ne peut être considéré comme générateur de richesses importantes dans l’économie mondiale moderne.

Cependant, les talibans disposent d’un atout de taille: les riches ressources minérales et minières du pays. Les économistes estiment leur valeur à 3 000 milliards de dollars, des réserves traditionnelles comme le cuivre et la bauxite aux minéraux de terre rares en passant par le lithium, autant de matériaux particulièrement précieux pour les technologies modernes des télécommunications et les sources d’énergies renouvelables.
«Je m’attends à la signature d’accords avec la Chine destinés à exploiter les ressources naturelles de l’Afghanistan. Dans cette hypothèse, la Chine tirera profit de la débâcle du retrait américain», ajoute M. Saïdi.
«Le financement ne se fera pas sous forme d’aides, mais il sera constitué d’investissements dans les infrastructures et l’exploitation des ressources naturelles. Si l’Afghanistan est lié à l’initiative chinoise de la “nouvelle route de la soie”, la situation économique pourrait s’améliorer considérablement», renchérit-il.
L’un des dirigeants du nouveau régime, le mollah Abdel Ghani Baradar, avait présidé une délégation de talibans à Pékin au mois de juillet dernier pour tenter de solliciter le soutien économique de la Chine avant la prise de pouvoir en Afghanistan.

D’autres pays pourraient également intervenir pour combler le vide laissé par le retrait des troupes occidentales. Le Pakistan, l’Iran et même la Russie sont déjà des partenaires commerciaux importants de l’Afghanistan et l’aspect déplaisant du nouveau régime ne serait pas de nature à les dissuader.
Les pays du golfe Arabique pourraient également prendre part au processus de reconstruction du pays. «Les pays du Golfe ne veulent pas d’un Afghanistan déstabilisé et ils pourraient être également intéressés par ses ressources naturelles», soutient M. Saïda, qui insiste sur le rôle de premier plan que joue déjà le Qatar en Afghanistan.
Les talibans affirment que leur organisation est aujourd’hui différente du mouvement des années 1990 et qu’ils ont tiré des leçons de cette époque. La manière dont ils géreront les défis urgents auxquels fait face l’économie afghane sera un test décisif pour évaluer leurs compétences.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com