PARIS : Résistante, militante antiraciste, artiste, Joséphine Baker fera son entrée au Panthéon en France cet automne, devenant la première femme noire à rejoindre les grandes personnalités qui y sont inhumées.
L'artiste franco-américaine entrera le 30 novembre dans le mausolée républicain dédié aux personnages ayant marqué l'Histoire de France, a-t-on appris dimanche auprès de l'entourage du président français Emmanuel Macron, confirmant une information du journal Le Parisien.
Toutefois, le corps de Joséphine Baker, "restera à Monaco où elle est enterrée au cimetière marin", a précisé un de ses enfants, Jean-Claude Bouillon-Baker, assurant que cette décision avait prise "en accord" avec la fratrie et avec "la compréhension de l'Élysée". "Ce sera un cénotaphe, avec une plaque, comme pour Aimée Césaire et d'autres personnalités", a-t-il ajouté: "L'important, c'est de marquer sa présence au Panthéon".
La cérémonie fera de la célèbre meneuse de revue, née dans le Missouri en 1906, décédée en 1975 et enterrée à Monaco, la première femme noire à reposer dans la nécropole laïque et seulement la sixième femme à y prendre place, Simone Veil ayant été la dernière femme à y faire son entrée en 2018.
"Le 21 juillet, le président Macron nous a accordé un entretien", raconte l'entrepreneuse Jennifer Guesdon, une des personnalités défendant la panthéonisation, et "quand le président nous a dit oui, (cela a été une) grande joie et en même temps c'était comme une évidence".
"Cette demande de panthéonisation a été faite par la famille Baker depuis 2013", poursuit Mme Guesdon, qui a été reçue par le président de la République avec le romancier Pascal Bruckner, le chanteur Laurent Voulzy, l'essayiste Laurent Kupferman et des membres de la famille de Joséphine Baker.
Une première campagne avait été lancée par l'écrivain français Régis Debray et avait été réactivée par M. Kupferman, rappelle Mme Guesdon. Une pétition "Osez Joséphine Baker au Panthéon" compte près de 38 000 signatures.
"Artiste, première star internationale noire, muse des cubistes, Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale dans l'armée française, active aux côtés de Martin Luther King pour les droits civiques aux Etats-Unis d'Amérique et en France aux côtés de la Lira [devenue Licra: Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme] (...) nous pensons que Joséphine Baker, 1906-1975, a sa place au Panthéon", selon la pétition.
Médaille de la Résistance
"On a fait découvrir les engagements de Joséphine Baker qui n'était connue pour certains que comme une star internationale, une grande artiste" mais "elle rentre au Panthéon parce qu'elle était résistante", relève Mme Guesdon.
Mariée deux fois à l'âge de 15 ans, issue d'un milieu très pauvre, Joséphine Baker fuit le domicile familial en suivant une troupe de vaudeville noire. Remarquée par un producteur, elle part pour Paris où, à 19 ans, elle devient une star de la Revue nègre, spectacle musical qui a contribué à populariser en France le jazz et la culture noire américaine.
Meneuse de revue, icône de cabaret, chanteuse, elle sera l'artiste la mieux payée du music-hall parisien.
Le 30 novembre 1937, elle épouse Jean Lion, un industriel d'origine juive et obtient la nationalité française. Elle divorcera et se remariera deux fois par la suite. Elle adoptera 12 enfants.
Elle s'engage dans la Résistance. En 1939, elle rencontre le capitaine Jacques Abtey, qui sera responsable du contre-espionnage de la région de Paris et est recrutée comme agent de renseignement, faisant passer des informations inscrites à l'encre sympathique sur ses partitions de musique.
Elle est envoyée par la suite en mission au Maroc et part en tournée au profit de la Résistance. Elle est nommée sous-lieutenant des troupes féminines auxiliaires de l’armée de l’air française.
"Je n'avais qu'une seule chose en tête (...) aider la France", avait-elle dit dans des archives de l'Ina.
Elle a été décorée de la Légion d'honneur, de la Croix de guerre et de la Médaille de la Résistance.
Cela "symbolise l'image d'une France qui n'est pas raciste, contrairement à ce que disent un certain nombre de groupuscules médiatiques, Joséphine Baker est une vraie antiraciste, une vraie antifasciste", a réagi Pascal Bruckner.
Elle était un "modèle de femme vaillante et généreuse", "nous lui devons cet honneur", a écrit sur Twitter la ministre de la Culture française Roselyne Bachelot.
Interrogée, l'actuelle propriétaire du château des Milandes en Dordogne (sud-ouest de la France), propriété de l'artiste entre 1947 et 1968, a dit son "immense joie". "Ça fait 20 ans que je me bats pour rendre hommage à Joséphine au château. La France l’avait un peu oubliée quand on l’a acheté en 2001", a déclaré Angélique de la Barre.
La Dordogne se réjouit
BORDEAUX: "C'est une immense joie": le président du département de la Dordogne, comme la propriétaire du château des Milandes, où Joséphine Baker vécut pendant plus de 20 ans, se réjouissent de l'entrée prochaine au Panthéon de l'artiste franco-américaine.
"Ce qu'elle a fait personne ne l'avait jamais fait, ça reste un exemple absolument extraordinaire", a salué dimanche Germinal Peiro, qui, à la tête du conseil départemental de la Dordogne, a soutenu avec force la demande de panthéonisation de Joséphine Baker, "essentiellement pour des raisons morales, éthiques".
"Ce que je retiens, c'est ce qu'elle a voulu faire et ce qu'elle a voulu montrer à l'humanité toute entière en adoptant douze enfants d'origines différentes", a confié M. Peiro, qui fut maire durant 31 ans de la commune de Castelnaud-la-Chapelle, où se trouve le château des Milandes, acheté par Joséphine Baker en 1947.
Selon lui, "ça a été sa façon à elle de lutter contre le racisme, chose dont elle avait été victime aux États-Unis et qu'elle avait combattue aussi".
"Elle s'est mariée à Castelnaud, tous les enfants de Joséphine sont allés à l'école communale de Castelnaud, ce qui fait que les gens d'ici les connaissent bien" se remémore aussi Germinal Peiro, qui a lui-même très bien connu la famille.
"Et puis dans cette période d'après-guerre, les Milandes ça a été un phare sur le plan touristique, un phare culturel aussi parce que beaucoup de grands artistes sont venus s'y produire", retient-il aussi.
"Joséphine a acheté le château en 1947 et elle y est restée jusqu'en 1968", où elle a dû le quitter "totalement ruinée, chassée par les huissiers, ça a été un déchirement", se souvient-il, rappelant qu'elle avait ensuite été recueillie en 1969 par le Prince Rainier de Monaco, où elle a été enterrée en 1975.