NICE: C’est un fait. Les voyants sont au rouge. Le Maroc est souvent montré en exemple pour sa gestion de la pandémie de Covid-19. Pourtant, les autorités françaises viennent de le placer sur la liste rouge. Une catégorie de pays dans lesquels le virus circule de façon très active avec des variants préoccupants. Le Maroc, jusqu’ici relativement épargné par la Covid-19, fait face à la vague épidémique la plus violente qu’il ait rencontrée depuis le début de la crise sanitaire.
Ces deux dernières semaines, le nombre des contaminations a bondi avec près de 10 000 cas par jour. Le pays déplore quotidiennement au moins 100 décès. Les services de réanimation sont submergés, surtout à Casablanca et à Marrakech. Et pourtant, le Maroc est le pays du continent africain le plus avancé dans sa campagne de vaccination. Près de 35 % de la population est complètement vaccinée. Cependant, certains citoyens hésitent encore à le faire, souvent par crainte de potentiels effets secondaires. Sur la Toile, un autre virus tout aussi contagieux pullule: celui des fake news remettant en cause l’efficacité des vaccins. Maryam Bigdeli, responsable du bureau de l’OMS au Maroc répond aux questions d’Arab News en français.
Faut-il s’inquiéter de la situation sanitaire au Maroc?
Il est vrai que le Maroc enregistre un nombre croissant de contaminations, de cas sévères, et de décès, mais la bonne nouvelle, c’est que nous savons quoi faire. Les mesures prises, qui ont fonctionné lors des précédentes vagues et variants sont toujours les mêmes. Le taux de létalité au Maroc (le nombre de décès sur le nombre de cas enregistrés) n’a pas évolué, il est même en baisse par rapport au mois de novembre de l’année dernière.
Dans les pays où la vaccination a été mise en place de façon très étendue (le Maroc prend cette voie), on voit bien que les cas sévères ont diminué. La vaccination permet d’éviter un grand nombre de décès. Mais elle doit aussi être accompagnée de mesures de distanciation physique, et de certaines règles restrictives permettant de réduire la transmission du virus, en attendant que la campagne de vaccination soit complète. Il est donc très important de respecter ces mesures de confinement partiel, et surtout de se tester, de s’isoler pour protéger nos proches et la communauté.
Face aux fake news, l’enjeu aujourd’hui est donc de convaincre les plus réticents à la vaccination…
C’est un travail multifactoriel. Nous devons informer en nous basant sur les données de la science: ces vaccins ont reçu – en particulier ceux qui sont administrés au Maroc – l’approbation en urgence de l’OMS et du comité scientifique marocain. Il faut savoir qu’aucun vaccin aujourd’hui n’est efficace à 100 %, ni n’empêche de contracter le virus. Mais il est certain que le vaccin protège contre les formes sévères, et évite un grand nombre de décès. Cela a été constaté dans les pays qui ont une bonne couverture vaccinale. On ne peut toutefois pas affirmer qu’il n’y aura aucun décès. En situation réelle (hors des essais cliniques), certaines personnes répondent moins bien à la vaccination, il y a aussi parfois des gestes vaccinaux mal réalisés, et des personnes qui échappent à l’immunité. Le plus important, c’est que même si la vaccination peut ne pas empêcher des cas sévères, ils seront moins graves que sans vaccination. Il y a donc toujours un bénéfice. On peut bien sûr toujours prendre des cas isolés et les monter en épingle… Il est déplorable qu’il y ait encore des décès ou des cas critiques, mais le postulat de départ n’a jamais été qu’ils allaient pouvoir tous être évités, mais de les réduire le plus possible.
L’OMS n’a-t-elle pas un rôle de sensibilisation à jouer?
Nous jouons déjà ce rôle. Le fait d’avoir peur est tout à fait légitime. Se poser des questions face à l’inconnu est également normal. Il faut l’admettre. Il faut continuer à informer en se référant à la science. Le Maroc a mis en place une importante campagne de communication digitale. L’OMS y a collaboré avec l’Unicef, afin d’informer sur la nécessité de se faire vacciner, et d’avoir un impact sur la population. Donc nous participons avec les autorités marocaines à faire diffuser ces messages basés sur la science et l’évidence.
Le Maroc a également mis en place un système de communication direct avec la population, en faisant du porte-à-porte dans les quartiers et les villages. C’est fondamental, car toute la population n’a pas accès aux supports de communication digitaux, et elle a aussi besoin de poser des questions, et de recevoir des réponses auprès d’équipes mobiles.
Aucun vaccin, aucun médicament, ni traitement n’est exempt d’effets secondaires
Maryam Bigdeli
En mars dernier, le bureau de l'OMS au Maroc a félicité le pays pour «la réussite de sa campagne de vaccination», en indiquant que le pays comptait parmi les dix premiers États ayant réussi le défi de la vaccination contre la Covid-19. Sur quels critères vous basez-vous pour faire ce bilan?
Les critères établis ne sont pas les mêmes que pour les stratégies de vaccination habituelles, où les taux de vaccination doivent atteindre un certain pourcentage de la population pour être considérés comme efficaces, par exemple pour la rougeole ou la polio. Pour la Covid-19, nous sommes dans une situation inédite, donc les critères sont différents.
Il faut rester prudents, car certains pays n’ont pas eu la capacité de vacciner leur population comme le Maroc, par manque de moyens. Les critères sont donc à nuancer, mais plusieurs éléments permettent de dire que le Maroc a pris les bonnes décisions au bon moment, sous le leadership de Sa Majesté (ndlr: le roi du Maroc). Il y a eu un engagement politique. Tout d’abord, les vaccins ont été disponibles et gratuits pour l’ensemble de la population, y compris les résidents étrangers. Il faut aussi rappeler la rapidité d’action du Maroc, dont la logistique a été organisée bien avant l’arrivée des premiers vaccins dès novembre. Le personnel a été formé, des centres de vaccination ont été installés, et la chaîne du froid a été coordonnée. L'engagement des professionnels de santé au Maroc a permis le succès de cette campagne.
Un autre critère est celui de la couverture et l’extension qui a été faite de façon progressive et raisonnée. Il y a eu aussi les campagnes de communication digitale. Il y a aussi un élément très important: l’efficacité de la pharmacovigilance, un système qui permet de suivre, tracer et monitorer les effets secondaires. Le centre national de pharmacovigilance au Maroc est d’ailleurs un centre qui collabore avec l’OMS
Que penser justement des «effets secondaires» des vaccins qui ont été notamment révélés par certains médias au Maroc, après le décès d’une jeune fille, attribué par ses proches à l’injection du vaccin Johnson & Johnson?
Je ne vais pas me prononcer sur des cas particuliers, car ils sont en cours d’investigation par le système de pharmacovigilance. Je fais confiance aux experts. Les vaccins qui ont reçu l’approbation d’urgence de l’OMS ont fourni des données démontrant que leur efficacité est suffisante pour arrêter la transmission du virus, prévenir les formes graves et que les effets secondaires ne sont pas importants. Aucun vaccin, aucun médicament, ni traitement n’est exempt d’effets secondaires, et certains individus peuvent réagir différemment que d’autres. Évidemment, les effets secondaires graves sont absolument déplorables, mais d’un point de vue de santé publique, c’est vraiment la balance bénéfice-risque que l’on doit prendre en considération.
Qu’en est-il de l’efficacité du vaccin Sinopharm utilisé au Maroc, mais qui n’est toujours pas validé par l’UE? Le Maroc s'associe d’ailleurs à l'entreprise chinoise Sinopharm pour créer une unité industrielle de production de vaccins. Récemment, Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, a déclaré que «la remise en cause de l'efficacité du vaccin produit par Sinopharm relève plus du domaine politique que scientifique…»
Malheureusement, beaucoup de sujets ont été politisés depuis le début de cette pandémie, et je pense qu’il faut vraiment revenir à l'évidence scientifique ! C’est un vaccin qui a reçu l’autorisation d’utilisation d’urgence de l’OMS. Je continue donc à faire confiance aux scientifiques, qui au vu des données à leur disposition, ont montré que ce vaccin était efficace à un niveau suffisant (plus de 70%) pour protéger la population des formes les plus graves. Par ailleurs, il n’a pas montré plus d’effets secondaires que d’autres vaccins qui ont aussi reçu cette autorisation.
Le vaccin n’est pas la seule arme, vous l’avez dit… le pass sanitaire mise en place par certains gouvernements est aussi vu comme une arme pour faire reculer la propagation de l’épidémie. Pensez-vous que le pass vaccinal sanitaire est nécessaire?
Nous donnons des recommandations, les États sont souverains pour prendre les décisions qui leur incombent, néanmoins le pass sanitaire peut introduire certaines inégalités dans la mesure où toute la population du monde n’a pas accès aux mêmes vaccins… Hors Covid, nous vivons déjà dans un monde très inéquitable. La Covid-19 a introduit certaines inégalités, les vaccins n’ayant pas été distribués proportionnellement dans les différents pays. Le pass vaccinal peut accroître ces inégalités en excluant la population de certaines activités, en restreignant leur liberté de mouvement.
Il est plus prudent de convaincre plutôt que contraindre! Il faut mettre en place un certain nombre de mécanismes de communication, d’écoute, fournir des réponses aux questions de la population. Il est vrai que l’on travaille contre le temps avec une épidémie qui reprend, et le pass vaccinal peut être une solution transitoire, tout comme les restrictions, mais il faut les appliquer avec prudence. Ce type d’outils doit être respectueux des libertés individuelles, et il faut essayer de les limiter dans le temps.
La pandémie a révélé les graves dysfonctionnements du secteur de la santé dans de nombreux pays, dont le Maroc. Comment le pays peut aujourd'hui rattraper son retard dans le secteur de la santé?
Le Maroc a agi de façon extrêmement efficace, ce qui est de bonne augure pour l’avenir, mais il ne faut pas oublier ces bonnes pratiques, et capitaliser sur cette expérience. On a vécu cela avec d’autres crises comme Ebola. Nous sommes capables de mobiliser beaucoup de ressources dans des situations de crises dans un court laps de temps. Au Maroc comme ailleurs, il faut notamment repenser le rôle des ressources humaines dans la santé, remettre les soignants au cœur de ce système, et les valoriser. Il faut aussi encourager la multisectorialité. On a vu l'ensemble des secteurs s'engager pour aider la santé comme le textile…et rôle capital qu’on pu jouer de nombreuses innovations. Il faut encourager cette polyvalence dans les réformes futures.